Analyse de l'arrêt TF 5A_920/2023 (d)

Aleksandra Bjedov, Greffière-rapporteure au Tribunal cantonal de l’Etat de Fribourg

Plafonnement de la part à l’excédent de l’enfant de parents non mariés : maxime inquisitoire illimitée

I. Objet de l’arrêt

Cet arrêt traite de la limitation du montant de l’excédent des enfants de parents non mariés. Il énonce la méthode de calcul de la part à l’excédent de l’enfant dans ce type de constellations familiales ainsi que les règles régissant la limitation de celle-là et les applique au cas concret.

II. Résumé de l’arrêt

A. Les faits

A.A. (né en 2012) et B.A. (né en 2014) sont les enfants communs de C.A. (née en 1979) et D. (né en 1973). Les parents, qui ne sont pas mariés, se sont séparés le 12 octobre 2015. Depuis lors, les enfants résident chez leur mère (consid. A de l’arrêt commenté).

Le juge unique du tribunal d’arrondissement de See-Gaster (Saint-Gall) a réglé diverses questions relatives aux enfants par décision du 7 juillet 2017 et a notamment astreint le père à verser des contributions d’entretien pour enfants (consid. B.a. de l’arrêt commenté).

Sur appel du père, le tribunal cantonal de Saint-Gall a fixé de nouveaux montants de contributions d’entretien par arrêt du 10 septembre 2019 (consid. B.b de l’arrêt commenté).

A.A. et B.A. ont porté l’affaire devant le Tribunal fédéral. Celui-ci a admis leur recours et a renvoyé la cause au tribunal cantonal afin qu’il complète l’état de fait concernant le niveau de vie de la famille avant la séparation, intègre une part d’impôt dans les besoins des enfants et recalcule les contributions d’entretien (arrêt 5A_816/2019 du 25 juin 2021 ; consid. B.c de l’arrêt commenté).

Le tribunal cantonal a rendu sa nouvelle décision le 26 octobre 2023 en refixant les contributions d’entretien pour enfant (consid. C de l’arrêt commenté).

Par un recours en matière civile déposé le 6 décembre 2023, A.A. et B.A. (les recourants) saisissent à nouveau le Tribunal fédéral. En résumé, ils demandent une augmentation des contributions d’entretien en leur faveur (consid. D.a de l’arrêt commenté).

Le tribunal cantonal a renoncé à se déterminer. D. (l’intimé) conclut, dans sa réponse du 23 août 2024, au rejet du recours, dans la mesure où il est recevable. Aucune autre écriture n’a été déposée (consid. D.b de l’arrêt commenté).

B. Le droit

1. Décision cantonale résumée et mise en contexte

L’instance cantonale a plafonné la part à l’excédent des recourants à CHF 200.- chacun. A montant, elle a ajouté les frais liés aux loisirs, qu’elle avait initialement pris en compte séparément dans son premier jugement du 10 septembre 2019 et qui, selon l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral, devaient être financés à partir de la part à l’excédent. Il en résulterait une part de respectivement CHF 200.-, CHF 250.- et CHF 300.- par enfant suivant les différentes périodes (arrêt 5A_816/2019 du 25 juin 2021, consid. 4.1.3 in fine). Dans leur recours au Tribunal fédéral, les recourants concluent à une part à l’excédent de CHF 1’200.- chacun (consid. 2.1.1 de l’arrêt commenté).

Dans son premier arrêt, l’instance cantonale avait déjà plafonné les parts à l’excédent des recourants à CHF 200.-, en retenant que l’excédent du débiteur d’aliments devait être réparti entre lui-même et les enfants en tenant compte de leur situation financière et personnelle. Laisser l’intégralité de cet excédent au seul débiteur n’était pas compatible avec le droit à un entretien convenable au sens des art. 285 et 276 CC. Toutefois, dans une situation financière très favorable, l’octroi d’une part à l’excédent, combinée avec un éventuel revenu propre du bénéficiaire, pouvait aboutir à un montant d’entretien dépassant le niveau de vie antérieur à la séparation. Dans ce cas, il convenait de plafonner la part à l’excédent, en attribuant un montant fixe. Cette approche paraissait adéquate en l’espèce. Il n’existait pas de règle stricte quant à la manière de prendre en compte la situation financière très favorable du débiteur. En l’espèce, selon l’instance cantonale, il semblait indiqué de ne pas doubler le montant de base, comme l’avait fait la première instance, mais d’ajouter aux contributions d’entretien un montant fixe de CHF 200.- par enfant et par mois à chaque phase du calcul (arrêt 5A_816/2019 du 25 juin 2021, consid. 5.1 ; consid. 2.1.2 de l’arrêt commenté).

Selon l’arrêt cantonal, le revenu mensuel net de l’intimé s’élève à CHF 20’000.-, tandis que son minimum vital élargi est estimé à CHF 5’700.-, ce qui laisse un excédent mensuel de CHF 14’300.-. Après déduction des contributions d’entretien arrêtées par l’instance cantonale (hors part à l’excédent de CHF 200.- par enfant), l’excédent net de l’intimé s’élève à CHF 10’800.- par mois (consid. 2.2.2 de l’arrêt commenté).

2. Position défendue par les parties devant le Tribunal fédéral

Concernant les constatations de fait de l’arrêt querellé relatives au niveau de vie de la famille avant la séparation des parents, les recourants estiment arbitraire que l’instance précédente se base sur la décision de première instance, qu’ils n’ont pas contestée à cet égard. Dans cette décision, des contributions d’entretien d’environ CHF 2’500.- par enfant et par mois avaient été fixées dès janvier 2017, de sorte qu’une contestation de cette première phase n’aurait eu aucun sens sur le plan économique. Les recourants reprochent en outre à l’instance précédente d’avoir procédé à un établissement des faits superficiel et rudimentaire, en violation de la maxime inquisitoire (consid. 2.2.1 de l’arrêt commenté). Ils estiment encore qu’il est incompréhensible et contraire à toute logique de fixer leur part à l’excédent à CHF 200.-, ce qui représente seulement 1,85 % de l’excédent du débiteur d’entretien, une proportion qu’ils jugent choquante. Si la part à l’excédent était répartie selon la méthode des « grandes et petites têtes », elle s’élèverait à CHF 2’950.- par enfant et par mois. Les recourants admettent que cette part doit être plafonnée, mais contestent fermement qu’elle soit limitée à CHF 200.-, estimant qu’elle devrait être d’au moins CHF 1’200.-, soit environ 10 % de l’excédent net de l’intimé. Ils soutiennent que la part excédentaire doit leur permettre de maintenir leur niveau de vie antérieur à la séparation. Les coûts liés aux loisirs (cours de natation, patinage, ski, équitation, ballet, visites de musées) ainsi qu’aux vacances (sports d’hiver, séjours balnéaires, excursions au Legoland, etc.) ont déjà été amplement documentés. Ils contestent donc l’affirmation selon laquelle ils auraient eu un mode de vie modeste. De plus, l’instance précédente aurait omis de prendre en compte le fait que les besoins des enfants augmentent avec l’âge, justifiant une part à l’excédent plus élevée (consid. 2.2.2 de l’arrêt commenté).

L’intimé rétorque que fixer une part à l’excédent à CHF 1’200.- par mois ne correspond ni au niveau de vie que la famille menait avant la séparation, ni aux besoins réels des enfants. Il affirme avoir démontré que, avant la séparation, l’ensemble des dépenses de la famille pour son train de vie s’élevait en moyenne à CHF 6’384.- par mois. En outre, il soutient que la famille n’avait que peu ou pas de frais pour les vacances, car celles-ci se déroulaient soit dans les résidences de vacances des grands-parents des recourants, soit étaient financées par les grands-parents maternels. Dès lors, le lieu de vacances est sans importance. Ce qui compte, selon l’intimé, c’est uniquement le coût réel des vacances pour la famille et la personne ayant assumé ces frais (consid. 2.3 de l’arrêt commenté).

3. Exposé juridique

3.1. Détermination de l’excédent et son partage

L’excédent résultant de la méthode en deux étapes doit en principe être réparti selon la règle des « grandes et petites têtes » entre les bénéficiaires. Les parents reçoivent chacun le double de la part des enfants. Cependant, des exceptions peuvent être admises au cas par cas, selon l’appréciation du juge. Celui-ci peut tenir compte de circonstances particulières, telles que les modalités de garde, les efforts professionnels dépassant l’obligation légale (travail surobligatoire), ou les besoins spécifiques (ATF 147 III 265, consid. 7.3 et références ; consid. 2.4.1 de l’arrêt commenté).

Dans le cas d’enfants dont les parents ne sont pas mariés, l’excédent est uniquement réparti entre le parent débiteur d’aliments (grande tête) et les enfants (petites têtes) (ATF 149 III 441, consid. 2.7). Le parent gardien n’a pas droit à une participation au niveau de vie du parent débiteur. Il convient donc de veiller à ce que le parent gardien ne bénéficie pas indirectement de l’excédent attribué à l’enfant (ATF 149 III 441, consid. 2.6 ; 147 III 265, consid. 7.4 et références ; consid. 2.4.2 de l’arrêt commenté).

Si avant la séparation, les parents vivaient en dessous de leurs moyens, le niveau de vie réel différait donc de leur capacité financière potentielle. Dans ce cas, l’enfant ne peut pas revendiquer, par la répartition de l’excédent, un niveau de vie supérieur à celui qu’il connaissait avant la séparation (ATF 147 III 265, consid. 7.3). Aussi longtemps que la capacité financière du débiteur d’aliments ne s’est pas améliorée, il est légitime de plafonner la part excédentaire de l’enfant afin de garantir la poursuite de son niveau de vie tel qu’il existait avant la séparation (arrêt 5A_816/2019 du 25 juin 2021, consid. 5.2, non publié aux ATF 147 III 457). Cependant, contrairement à la contribution d’entretien entre époux, la contribution d’entretien de l’enfant n’est pas strictement limitée au niveau de vie des parents avant la séparation. Ainsi, si la situation financière du débiteur s’améliore après la séparation, l’enfant a en principe droit à une participation à cette amélioration (arrêts 5A_341/2023 du 14 août 2024, consid. 4.4.2 ; 5A_44/2020 du 8 juin 2021, consid. 5.2.1 et 5.2.3, in FamPra.ch 2021 p. 1139 s. ; consid. 2.4.3 de l’arrêt commenté).

Si la contribution d’entretien de l’enfant doit être plafonnée au niveau permettant de maintenir le train de vie d’avant la séparation, le tribunal doit d’abord déterminer ce standard. Pour ce faire, et par analogie avec le calcul du plafond de l’entretien entre époux (ATF 148 III 358, consid. 5), il convient de :

  1. Etablir le revenu du ménage tel qu’il était avant la séparation ;
  2. Déduire le minimum vital du droit de la famille ;
  3. Répartir l’excédent entre les bénéficiaires selon la méthode des grandes et petites têtes (ATF 147 III 293, consid. 4.4).

Cette approche permet de déterminer le montant excédentaire réellement nécessaire pour que l’enfant puisse conserver son niveau de vie antérieur, après la séparation (consid. 2.4.4 de l’arrêt commenté).

Si les parents ont vécu plus économiquement que ce que leurs conditions financières auraient permis avant la séparation, cela peut être prouvé par un taux d’épargne documenté. Dans un tel cas, le taux d’épargne doit être soustrait du surplus déterminé selon le calcul précité (consid. 2.4.5.1 de l’arrêt commenté).

Il n’est pas exclu que, pendant la vie commune de la famille, les parents aient consciemment utilisé non pas le surplus calculé, mais une part significativement plus petite pour l’enfant, soit en raison d’une décision éducative commune, soit en raison des besoins accrus des parents. En revanche, le seul fait que l’excédent n’ait pas été entièrement utilisé pour de jeunes enfants ne justifie pas nécessairement une limitation de celui-ci. Les exigences des enfants en matière d’activités de loisirs, de vacances, etc., augmentent avec l’âge selon l’expérience générale de la vie, de sorte que les besoins relativement modestes des nourrissons et des petits enfants ne peuvent pas conduire à des conclusions limitant les droits dans les phases de soutien ultérieures (consid. 2.4.5.2 de l’arrêt commenté).

En cas de situations financières exceptionnelles, la part de l’excédent de l’enfant peut être limitée indépendamment du niveau de vie concrètement vécu par les parents, pour des raisons éducatives et/ou en raison de besoins spécifiques (ATF 147 III 265, consid. 7.3 avec références ; consid. 2.4.5.3 de l’arrêt commenté).

Le point de départ pour la répartition de l’excédent est, du moins lorsque la méthode de calcul concrète en deux étapes est suivie, le résultat du calcul obtenu par la confrontation des chiffres de revenus et des besoins des parties tenues à verser une pension alimentaire et des parties bénéficiaires. L’excédent est d’abord réparti selon « grandes et petites têtes ». Ensuite, il convient de vérifier si un écart par rapport à l’excédent calculé est justifié et s’il convient d’attribuer une somme plus élevée ou plus faible. Pour ce faire, des constatations de fait peuvent être nécessaires (consid. 2.4.6 de l’arrêt commenté).

3.2. Maxime inquisitoire illimitée (art. 296 al. 1 CPC) et subsomption

A cet égard, il convient de noter que la maxime inquisitoire illimitée applicable en matière de pensions alimentaires pour enfants (art. 296 al. 1 CPC) dispense certes les parties de la charge subjective de la preuve ou de l’administration des preuves, mais ne les exonère pas de leur devoir de collaboration (ATF 140 III 485, consid. 3.3 avec références [concernant le taux d’épargne]). Par ailleurs, ni la maxime inquisitoire ni l’obligation de collaborer ne modifient la charge objective de la preuve, selon laquelle la partie qui entend tirer avantage d’une allégation de fait doit en supporter les conséquences en cas d’absence de preuve (art. 8 CC ; arrêt 2C_150/2024 du 25 septembre 2024, destiné à la publication, consid. 4.3.1 ; consid. 2.4.7 de l’arrêt commenté).

Au vu de ce qui précède, le tribunal dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour la détermination de la part de l’excédent (art. 4 CC). Le Tribunal fédéral contrôle en principe librement de telles décisions fondées sur le pouvoir d’appréciation. Il n’intervient toutefois que si l’instance cantonale a fait un usage erroné de son pouvoir d’appréciation, c’est-à-dire si elle s’est écartée sans motif de principes reconnus par la doctrine et la jurisprudence, si elle a pris en compte des éléments qui n’auraient pas dû jouer de rôle ou, inversement, si elle a omis de considérer des circonstances juridiquement pertinentes. En outre, les décisions relevant du pouvoir d’appréciation doivent être annulées et corrigées lorsqu’elles s’avèrent manifestement iniques ou d’une injustice choquante (ATF 142 III 617, consid. 3.2.5, 612 consid. 4.5, avec références ; consid. 2.4.8 de l’arrêt commenté).

L’instance précédente a retenu, s’agissant de l’intimé, un revenu net mensuel de CHF 20’000.- ainsi qu’un minimum vital selon le droit de la famille d’environ CHF 5’700.-, ce que l’intimé ne conteste pas dans sa réponse, et qui aboutit à un solde mensuel disponible de CHF 14’300.-. L’instance précédente n’a pas inclus l’intimé dans le calcul de l’entretien ; en particulier, elle n’a pas indiqué la part de l’excédent à répartir entre les bénéficiaires. Toutefois, sur la base des chiffres figurant dans la décision attaquée, cet excédent peut aisément être déterminé en déduisant du solde disponible de CHF 14’300.- les besoins en espèces des recourants (sans la part d’excédent selon la décision attaquée) ainsi que l’entretien pour la prise en charge ; (consid. 2.5 de l’arrêt commenté).

En appliquant le principe de répartition de l’excédent selon les grandes et petites têtes, il en résulterait en principe, selon la phase considérée, une part d’excédent par enfant comprise entre CHF 2’378.75.- (= 9’515 : 41) et CHF 3’092.- (= 12’368 : 42). Or, l’instance précédente a attribué, selon la phase du calcul de l’entretien, des parts d’excédent de CHF 220.-, CHF 250.- et CHF 300.- respectivement. Une divergence aussi marquée par rapport au résultat mathématique n’est certes pas exclue, mais elle nécessite une justification particulièrement convaincante (consid. 2.6.1 de l’arrêt commenté).

L’instance précédente a retenu, en ce qui concerne le niveau de vie de la famille, qu’il n’était guère possible d’établir aujourd’hui les postes des besoins concrets des enfants avant la séparation des parents, de sorte qu’il convenait de se fonder sur les montants retenus pour la première phase du calcul de l’entretien selon le jugement de première instance, soit des frais de subsistance3 de CHF 1’230.-. Elle ne s’est toutefois pas exprimée sur les besoins de la famille dans son ensemble (consid. 2.6.2 de l’arrêt commenté).

Il est manifeste que le niveau de vie des recourants durant la vie commune ne peut être déterminé en se fondant sur la situation ayant prévalu immédiatement après la séparation des parents, dès lors qu’à ce moment-là, deux ménages distincts existaient déjà. Cela vaut d’autant plus lorsqu’il s’agit de déterminer la part d’excédent qui était utilisée pour les recourants durant la vie commune, une telle part n’ayant précisément pas été établie dans le jugement de première instance, ce que l’instance précédente a d’ailleurs reconnu. Contrairement à ce qu’elle estime, même le doublement du montant de base en matière de poursuites, effectué par le tribunal de district, ne fournit aucun indice quant à l’usage antérieur de l’excédent, puisqu’il s’agit d’une simple opération de calcul forfaitaire (consid. 2.6.3 de l’arrêt commenté).

En outre, les recourants critiquent à juste titre le fait que l’instance précédente ait assimilé leur renonciation à interjeter appel à une acceptation des montants fixés pour leurs besoins par le jugement de première instance, alors qu’il n’existe aucun lien entre ces deux aspects. La décision attaquée ne contient d’ailleurs aucune constatation de fait selon laquelle les recourants auraient eux-mêmes allégué ou du moins admis, dans la procédure de première instance, les montants pour leurs besoins d’un tel ordre. Dès lors, la constatation de l’instance précédente selon laquelle il faudrait retenir des frais de subsistance4 d’environ CHF 1’230.- par enfant pour la période précédant la séparation des parents apparaît arbitraire (consid. 2.6.4 de l’arrêt commenté).

Il manque ainsi une base factuelle permettant de justifier une dérogation au principe de répartition selon les grandes et petites têtes. L’intimé affirme certes avoir démontré que l’ensemble de la famille menait un mode de vie économe. Il soutient à plusieurs reprises que le budget familial s’élevait à environ CHF 5’800.- à CHF 6’384.- par mois et que les vacances ne coûtaient pratiquement rien à la famille. Toutefois, outre le fait que la décision attaquée ne contient aucune constatation de fait en ce sens et que l’intimé ne formule aucun grief à cet égard (art. 105 al. 1 et art. 97 al. 1 LTF), ces montants apparaissent en contradiction avec le besoin actuel de l’intimé constaté par l’instance précédente (hors part d’excédent), lequel s’élève à CHF 5’700.- et n’est pas contesté par lui. Même si l’instance précédente n’a pas précisé la composition de ce montant, il ne permet pas, après déduction des coûts supplémentaires liés à la séparation, de conclure à un besoin relativement faible durant la vie commune, comme l’intimé le prétend implicitement. Par ailleurs, ce dernier ne conteste pas que la famille partait régulièrement en vacances. Dès lors que la capacité financière est ici indiscutable, il importe peu, contrairement à son avis, de savoir comment ces séjours étaient financés par le passé (résidences secondaires des grands-parents ou prise en charge des frais par ces derniers). En particulier, l’intimé ne prétend pas que la famille n’aurait pas pris de vacances si elle avait dû en assumer elle-même les coûts. Ce qui est déterminant, c’est que les voyages réguliers en Suisse et à l’étranger faisaient partie du mode de vie de la famille (consid. 2.6.5 de l’arrêt commenté).

Dans la mesure où il concerne l’entretien des mineurs, le recours est donc fondé. L’enfant majeur n’a en revanche pas droit à une part de l’excédent (ATF 147 III 265, consid. 7.2 in fine), de sorte que les contributions d’entretien après la majorité des recourants doivent être maintenues telles que fixées par l’instance précédente. L’intimé ne s’exprime pas sur la limitation de la part d’excédent des recourants à CHF 1’200.- chacun, comme ces derniers l’ont proposé pour le cas où la décision attaquée devrait être réformée. Aucun motif, éducatif ou autre, ne permet de considérer un tel montant comme excessif. Dès lors, il y a lieu de faire droit aux conclusions des recourants pour la période de leur minorité (consid. 2.7 de l’arrêt commenté).

III. Analyse

A. Etablissement des faits en matière de contributions d’entretien pour enfant

Aux termes de l’art. 296 al. 1 CPC, dans sa version antérieure au 1er janvier 2025 (RO 2010 1739, p. 1808), le tribunal établit les faits d’office. Dans la version actuelle, le verbe « examiner » a remplacé « établir ». Il s’agit là d’une modification de nature purement rédactionnelle, n’entraînant pas de changement matériel (Message relatif à la modification du code de procédure civile suisse, FF 2020 2607, p. 2676).

Le Tribunal fédéral a rappelé dans un arrêt relativement récent (ATF 148 III 270, consid. 6.4) qu’outre la maxime d’office (art. 296 al. 3 CPC), la maxime inquisitoire illimitée (art. 296 al. 1 CPC) s’appliquait toujours lors de la fixation de l’entretien de l’enfant. Le tribunal devait, dans tous les cas, clarifier les facteurs pertinents pour le montant de la pension alimentaire. Il devait être suffisamment garanti que la pension alimentaire concrètement fixée correspond à la situation juridique matérielle.

Ce devoir de rechercher les faits d’office (art. 296 CPC) dure jusqu’à ce que le tribunal considère comme établis ou infirmés, au degré de preuve requis, les faits nécessaires pour statuer sur les prétentions litigieuses, soit jusqu’à ce qu’il existe un résultat positif de l’administration des preuves. S’il persiste des doutes importants sur le caractère complet et/ou l’exactitude des faits constatés jusqu’alors, par exemple, si le résultat de l’administration des preuves reste ouvert, le tribunal doit poursuivre ses recherches, dans la mesure où l’on peut attendre de nouvelles mesures d’éclaircissement qu’elles apportent encore de nouvelles connaissances pertinentes. Lorsqu’en appréciant les preuves, le tribunal parvient à la conviction qu’un allégué de fait est prouvé ou infirmé, il y a appréciation des preuves. Il en résulte, pour la partie recourante, que dans une première étape, elle doit soulever le grief d’un constat « manifestement inexact » des faits (démontrer en quoi le tribunal ne pouvait pas parvenir au résultat positif de l’administration des preuves qu’il a constaté) et qu’elle doit obtenir gain de cause sur ce point, avant que le Tribunal fédéral ne se penche sur la violation (prétendue) du droit. Pour cette seconde étape, la partie recourante doit alléguer les faits, décisifs pour l’issue de la procédure, que la juridiction précédente a omis de constater ou d’éclaircir (arrêt 5A_929/2022 du 20 février 2023, consid. 2.3.1).

Lorsque le procès est soumis à la maxime inquisitoire illimitée (art. 296 al. 1 CPC), il convient de considérer que l’application stricte de l’art. 317 al. 1 CPC n’est pas justifiée. En effet, selon l’art. 296 al. 1 CPC, le juge d’appel doit rechercher lui-même les faits d’office et peut donc, pour ce faire, ordonner d’office l’administration de tous les moyens de preuve propres et nécessaires à établir les faits pertinents pour rendre une décision conforme à l’intérêt de l’enfant. Dans cette mesure, il y a lieu d’admettre que, lorsque la procédure est soumise à la maxime inquisitoire illimitée, les parties peuvent présenter des nova en appel même si les conditions de l’art. 317 al. 1 CPC ne sont pas réunies (ATF 144 III 349, consid. 4.2.1).

B. Application au cas d’espèce

Il ressort de l’arrêt commenté que la cause avait été renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle complète notamment l’état de fait concernant le niveau de vie de la famille (consid. B.c). Que malgré ce renvoi, les recourants reprochent à l’instance cantonale d’avoir procédé à un établissement des faits « superficiel » et « rudimentaire » en violation de la maxime inquisitoire. Ils demandent une participation à l’excédent à hauteur de CHF 1’200.- par mois et par enfant (consid. 2.2.2). De son côté, l’intimé soutient que CHF 1’200.- est beaucoup trop élevé et ne correspond pas au niveau de vie de la famille et que s’agissant des vacances il fallait prendre en compte le coût réel (consid. 2.3).

Le Tribunal fédéral relève que s’il devait y avoir un plafonnement de l’excédent, le tribunal aurait à déterminer le train de vie avant la séparation (consid. 2.4.4). Il explique que lorsqu’il faut attribuer une somme plus élevée ou plus faible, les constatations de fait sont nécessaires (consid. 2.4.5). Or, la cour cantonale a retenu en ce qui concerne le niveau de vie de la famille qu’il n’était pas possible d’établir les postes des besoins concrets des enfants avant la séparation des parents en prenant en compte ce qui prévalait juste après la séparation. Elle n’a également pas établi les besoins de la famille dans son ensemble (consid. 2.6.2). Notre haute Cour a constaté que cette façon de faire n’était pas correcte car la part de l’excédent utilisée pour les recourants durant la vie commune n’avait pas été établie au cours de la procédure de première instance non plus ; ce que la cour cantonale avait reconnu (consid. 2.6.3). La conséquence en est qu’il manque une base factuelle permettant de justifier une dérogation au principe de répartition selon les grandes et petites têtes (consid. 2.6.5). Jusqu’à ce point, l’analyse de l’arrêt fédéral suit la procédure et la jurisprudence antérieure.

Petite digression : il aurait été souhaitable que la cour cantonale puisse établir les besoins concrets des enfants avant la séparation lors du renvoi de la cause. Elle disposait en effet de la possibilité de réinstruire librement les faits, indépendamment de l’approche adoptée par le tribunal de district. De même, les parties avaient la faculté d’introduire des faits nouveaux, même en l’absence des conditions strictes de l’art. 317 al. 1 CPC. Comme déjà mentionné (let. A ci-dessus), cet article ne devrait pas être appliqué de manière trop rigide en matière de contributions d’entretien des enfants, son interprétation devant s’inscrire dans la logique de l’art. 296 al. 1 CPC. Cela étant, il est possible que le passage d’une méthode de calcul (frais de subsistance) à l’autre (en deux étapes) ait compliqué les démarches procédurales tant pour les deux instances cantonales que pour les parties.

Cette parenthèse refermée, il convient de relever que, à la différence des paragraphes précédents, le consid. 2.6.5 ainsi que le dernier considérant (2.7) de l’arrêt fédéral commenté semblent demeurer inachevés. En effet, l’instance fédérale ne traite que des frais de vacances avant de conclure qu’un montant de CHF 1’200.- par mois et par enfant paraît justifié. Cette approche, loin de clore définitivement le litige, soulève plusieurs interrogations.

Tout d’abord, il serait utile de clarifier si ce montant de CHF 1’200.- par mois, soit CHF 14’400.- par an, est alloué exclusivement aux frais de vacances et, le cas échéant, si cette évaluation correspond aux éléments factuels du dossier. Le père intimé fait valoir que ces vacances étaient rendues possibles par l’absence de frais significatifs, ceux-ci étant pris en charge par les grands-parents, ou organisées dans leurs résidences secondaires. Dès lors, il aurait été pertinent d’examiner si, en l’absence de cette prise en charge, les enfants auraient bénéficié du même nombre de séjours (sports d’hiver, vacances balnéaires, excursions). L’arrêt fédéral commenté mentionne uniquement que le père n’a pas indiqué que tel n’aurait pas été le cas. Par ailleurs, puisque ces frais étaient assumés, directement ou indirectement, par les grands-parents durant la vie commune, il n’est pas exclu qu’un tel soutien se poursuive après la séparation. Dans cette hypothèse, il serait utile de préciser l’affectation réelle du montant que le père devra verser à ce titre. En tout état de cause, ces frais n’ayant pas été entièrement supportés par le père avant la séparation, il pourrait être discuté de leur intégration dans le calcul des besoins familiaux.

De même, les enfants recourants ont indiqué que les frais liés aux loisirs et aux vacances étaient amplement documentés, en mentionnant notamment la pratique de la natation, du patinage, du ski, de l’équitation et du ballet (consid. 2.2.2). Une estimation, même approximative, du coût et de la durée de ces activités aurait permis d’apporter un éclairage utile à l’appréciation du Tribunal fédéral. A titre d’exemple, les cours de ski peuvent être nécessaires au début de l’apprentissage, mais le deviennent de moins en moins une fois l’autonomie acquise. L’examen factuel figurant au consid. 2.6.5 reste, à cet égard, succinct, ce qui ne facilite pas la compréhension du raisonnement ayant conduit à la conclusion finale de l’arrêt. Cette dernière peut surprendre dans la mesure où le Tribunal fédéral a alloué à chacun des enfants un montant de CHF 1’200.- à titre d’excédent, correspondant exactement à la somme demandée. Or, dans le cadre de la maxime inquisitoire illimitée, une vérification plus approfondie du bien-fondé de ce montant aurait pu être envisagée. Une telle analyse s’avérait d’autant plus pertinente que ni la première instance ni la deuxième – malgré le renvoi – n’ont pu établir le niveau de vie de la famille durant la vie commune.

Le Tribunal fédéral relève à juste titre l’absence d’une base factuelle permettant de justifier une dérogation au principe de répartition selon les grandes et petites têtes. Dès lors, le fait d’accorder aux enfants recourants le montant sollicité peut interroger au regard des exigences de la maxime inquisitoire illimitée. Un second renvoi aurait pu sembler l’issue la plus attendue de l’arrêt commenté. Il est toutefois envisageable que le Tribunal fédéral ait privilégié une solution immédiate en raison de l’implication d’enfants mineurs, estimant qu’un nouvel envoi en instance inférieure ne servirait pas leur intérêt. Dans cette optique, l’arrêt s’inscrit dans une démarche pragmatique, bien adaptée aux circonstances particulières de l’affaire. Sa publication questionne néanmoins dans la mesure où, bien qu’il réponde aux besoins du cas d’espèce, son apport aux affaires ultérieures sur la question du plafonnement de l’excédent reste plutôt limité.

Enfin, il est envisageable que l’arrêt souhaite consacrer le principe d’une approche uniforme du plafonnement de l’excédent, tant pour les enfants de parents mariés que pour ceux de parents non mariés, malgré une différence dans le mode de calcul de l’excédent. Néanmoins, si tel devait être le cas, il aurait été intéressant d’expliquer en quoi en irait-il autrement.


  1. Part de la « petite tête » est de ¼ en l’espèce.
  2. Idem.
  3. Méthode dite des « frais de subsistance ».
  4. Idem.
Proposition de citation
Aleksandra Bjedov, Plafonnement de la part à l’excédent de l’enfant de parents non mariés : maxime inquisitoire illimitée ; analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 5A_920/2023, Newsletter droitmatrimonial.ch février 2025
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