Analyse de l'arrêt TF 5A_636/2023 (f)
28 mai 2025
La répartition de l’excédent lors du calcul des contributions d’entretien et la prise en compte du travail de care
I. Objet de l’arrêt
Dans un arrêt du 19 mars 2025, faisant suite à un recours dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois du 19 juillet 2023, le Tribunal fédéral a examiné le calcul de la contribution d’entretien après une augmentation du temps de travail du parent gardien conduisant à une augmentation des coûts de prise en charge des enfants par des tiers.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
A et B se sont marié·es en 2020 et chaque partie sollicite de manière unilatérale des mesures d’extrême urgence et des mesures protectrices de l’union conjugale en 2022, en lien avec l’enfant C né en 2022.
Par ordonnance de mesures superprovisionnelles rendue le 16 août 2022, sur demande de l’épouse, les parties ont été autorisées à vivre séparées, la garde exclusive de l’enfant a été attribuée à la mère, alors que le droit de visite du père a été suspendu. Le père a été condamné à verser une contribution d’entretien en faveur de l’enfant d’un montant de CHF 2’060.- par mois.
Une audience de mesures protectrices de l’union conjugale s’est tenue le 4 octobre 2022, qui a permis la signature d’une convention partielle, prévoyant l’exercice de la garde exclusive de l’enfant par la mère, la mise en œuvre d’une curatelle de surveillance des relations personnelles au sens de l’art. 308 al. 2 CC, avec un accord sur des conditions devant être remplies pour tendre vers un droit de visite usuel du père. La convention a été ratifiée par ordonnance du 29 novembre 2022. Dite ordonnance prévoyait également l’entretien convenable de l’enfant (CHF 2’352.05) et la condamnation du père à verser une contribution d’entretien de CHF 2’352.05 du 12 août 2022 au 30 novembre 2022, puis de CHF 2’117.- dès le 1er décembre 2022, allocations familiales éventuelles non comprises.
Le père a recouru contre cette ordonnance. L’appel a été rejeté et la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois a réformé d’office l’ordonnance en fixant la contribution d’entretien en faveur de l’enfant à CHF 2’340.- par mois du 1er août au 31 décembre 2022, puis à CHF 2’360.- par mois du 1er janvier au 31 mars 2023, puis à CHF 2’370.- par mois dès le 1er avril 2023, allocations familiales en sus.
C’est contre cette décision que le père a adressé un recours au Tribunal fédéral.
B. Le droit
1. Les lignes directrices pour le calcul du minimum d’existence selon l’art. 93 LP (consid. 3)
Selon le recourant, l’autorité cantonale aurait fait preuve d’arbitraire en comptabilisant dans ses charges, le montant de base d’une personne vivant seule, à savoir CHF 1’200.-. Il prétend que la charge retenue doit être de CHF 1’350.-, car il supporte l’entretien financier des enfants, au regard du principe d’équivalence des prestations en nature et en argent.
Le Tribunal fédéral rappelle que les lignes directrices pour le calcul du minimum d’existence selon l’art. 93 LP émises par la Conférence des préposés aux poursuites et faillites de Suisse prévoient que le montant de base mensuel pour une personne débitrice vivant seule est de CHF 1’200.- et de CHF 1’350.- pour une personne débitrice monoparentale avec obligation de soutien et de CHF 1’700.- pour un couple marié.
Le Tribunal fédéral se réfère à la doctrine pour expliciter la notion de « débiteur vivant seul avec obligation de soutien ». Il faut comprendre que la situation visée est celle du parent qui vit seul avec ses enfants, aussi bien mineur-es que majeur-es en formation, sans possibilité financière de participer aux coûts du ménage commun (TF 5A_6/2019, consid. 3.1). Ce montant supérieur est le corollaire des directives de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) sur l’aide sociale, qui tient compte du fait que les frais des ménages monoparentaux sont nettement plus élevés que ceux des couples (consid. 3.1).
En l’espèce, le père exerce un droit de visite à raison d’un jour par semaine et un samedi sur deux. Il ne vit donc pas seul avec ses enfants. Le principe d’équivalence des prestations en nature et en argent est sans pertinence pour déterminer le montant mensuel de base du minimum vital du droit des poursuites (consid. 3.2).
2. De l’équivalence des prestations en nature et en argent (consid. 4)
Selon le recourant, l’application stricte du principe de l’équivalence des prestations en nature et en argent par l’autorité cantonale en application de l’art. 276 CC entraîne un déséquilibre dans la situation financière des parents, ce qui conduit à une décision arbitraire.
Le Tribunal fédéral rappelle la teneur de l’art. 276 CC. L’entretien de l’enfant est assuré par les soins, l’éducation et des prestations pécuniaires. Ces éléments sont considérés comme équivalents. Les parents contribuent ensemble, chacun selon ses facultés, à l’entretien convenable de l’enfant et assument en particulier les frais de sa prise en charge, de son éducation, de sa formation et des mesures prises pour le protéger (al. 2). Il en résulte que le parent qui ne prend pas en charge l’enfant ou qui ne s’en occupe que partiellement doit en principe subvenir à son entretien financier (ATF 147 III 265) (consid. 4.1).
La fourniture de prestations en nature est un critère essentiel dans la détermination de l’entretien de l’enfant.
En l’espèce, la mère, tout en exerçant une activité professionnelle à 80%, détient la garde exclusive de l’enfant, alors que le père exerce un droit de visite un jour par semaine et un samedi sur deux. La mère assume son obligation d’entretien principalement en nature et le fait que l’enfant soit gardé par des tiers pendant qu’elle travaille n’est pas de nature à modifier ce constat.
Le recourant peut couvrir les coûts directs de l’enfant avec son disponible. Il fait valoir qu’il n’a pas de disponible une fois qu’il a couvert les coûts directs de l’enfant, et qu’il s’élève au maximum à CHF 52.45 dès le 1er avril 2023, alors que l’intimée et l’enfant disposent pour les mêmes périodes des soldes excédentaires de CHF 2’553.- et CHF 2’166.-. Il est ainsi réduit au minimum vital élargi aux impôts et à l’assurance-maladie complémentaire (LCA), sans disposer de moyens pour accorder d’autres dépenses à son fils.
En l’espèce, la mère, parent gardien, exerce une activité rémunérée à un taux supérieur à ce qui pourrait être exigé d’elle en fonction de la règle dite des « paliers scolaires ». Son activité professionnelle « sur-obligatoire » lui procure un disponible comparable à celui du père, alors que le montant de CHF 1’500.- relatif aux frais de garde de l’enfant par les tiers a été répercuté entièrement sur le parent non-gardien. Il en résulte un disponible pour la mère de plus de CHF 2’000.- par mois.
Selon le Tribunal fédéral, en ne tenant pas compte de cette différence de situation financière entre les parents, l’autorité cantonale a versé dans l’arbitraire, de telle sorte que le recours du père est admis. Il appartient à la cour cantonale de se prononcer à nouveau sur le montant en tenant compte, comme circonstance particulière du cas d’espèce, du travail sur-obligatoire lors de la répartition de l’excédent.
III. Analyse
A. Les éléments déterminants lors du calcul de la contribution d’entretien
Le calcul des contributions d’entretien de l’enfant dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale se fonde sur les art. 276 ss CC, par renvoi de l’art. 176 al. 3 CC.
L’art. 276 CC cité par le Tribunal fédéral pose les principes généraux de la contribution d’entretien en faveur de l’enfant. En particulier, l’entretien est assuré par les soins, l’éducation et les prestations pécuniaires (al. 1) et est assumé par les père et mère ensemble, selon leur faculté (al. 2).
L’art. 285 CC s’applique à la détermination de la contribution d’entretien, qui doit se fonder sur les besoins de l’enfant, ainsi qu’à la situation et aux ressources des parents, tout en prenant en compte la fortune et les revenus de l’enfant (al. 1). Le montant doit permettre de garantir la prise en charge de l’enfant par les parents et les tiers (al. 2).
Sur la base de cette disposition, le Tribunal fédéral a constaté que l’autorité législative avait délibérément renoncé à instaurer une méthode de calcul précise dans la loi.1 Il a dès lors imposé la méthode concrète en deux étapes avec répartition de l’excédent qui exige dans un premier temps d’examiner les revenus de tous les membres de la famille, dans un deuxième temps de calculer les charges de toute la famille sur la base du minimum vital du droit des poursuites, élargi au minimum vital du droit des familles lorsque la situation financière le permet.2 Enfin, si après cette deuxième étape, il reste un disponible, l’excédent doit être réparti.3
B. Les principes découlant du partage de l’excédent
Lorsqu’il avait posé les principes de cette méthode de calcul des contributions d’entretien, le Tribunal fédéral avait notamment précisé les modalités de partage de l’excédent. Il a posé le principe que l’excédent doit être réparti en équité entre les ayants droit.4 Cela implique de tenir compte des « grandes têtes » et « petites têtes », de manière à attribuer à chaque parent une part correspondant au double de celle de chacun·e des enfants mineur-es.5
Dans son premier arrêt de principe sur la question, le Tribunal fédéral avait effectué un calcul global du disponible de la famille pour calculer la part à l’excédent de l’enfant.6 Selon les constatations du Tribunal fédéral pour l’année 2019, la mère présentait un disponible de CHF 302.-, le père, parent gardien, un disponible de CHF 3’509.-. Après couverture du manco de l’enfant de CHF 830.-, le Tribunal a calculé que l’excédent de la famille s’élevait à CHF 2’981.-, dans sa globalité. Il a alors attribué à l’enfant un excédent de CHF 596.-. Cela a permis de fixer l’entretien convenable de l’enfant à CHF 1’626.- (CHF 830 + CHF 200.- d’allocations familiales + CHF 596.- de participation à l’excédent). Il a ensuite fixé la contribution de la mère, parent non-gardien, en faveur de l’enfant à CHF 200.-, tenant compte du fait que la garde était exercée par le père, mais que la mère ne disposait que d’une capacité contributive faible, dépassant de peu la couverture de son propre entretien convenable.
Par la suite, en présence de parents mariés et d’une attribution exclusive de la garde à un parent, le Tribunal fédéral a généralement traité les affaires dans lesquelles les contributions en faveur des enfants étaient fixées parallèlement à une contribution d’entretien entre personnes séparées ou divorcées.7 Dans ces cas, tou·tes les membres de la famille sont pris·es en compte dans le calcul des « grandes » et « petites têtes ».8
Amené à traiter le partage du disponible pour les parents non-mariés, avec attribution de la garde exclusive à un parent, le Tribunal fédéral a considéré que le disponible devait être attribué à raison d’une grande tête au parent débiteur d’entretien et une petite tête à l’enfant, soit 1/3 du disponible à l’enfant unique commun·e.9 Le disponible a été calculé uniquement sur la base de la situation du parent non-gardien, sans égard à l’éventuel disponible du parent gardien.
En l’état de la jurisprudence, le Tribunal fédéral fait donc une distinction entre la manière de calculer l’entretien convenable des enfants de parents mariés par rapport aux enfants de parent non-mariés. Selon le Tribunal fédéral, la réforme du droit de l’entretien a visé à placer les enfants sur un pied d’égalité uniquement en matière de prise en charge de l’enfant, mais il n’avait pas été question d’égalité financière.10
C. L’égalité de traitement entre parents mariés et parents non-mariés
L’argument du Tribunal fédéral justifiant de traiter économiquement de manière différente les enfants né-es de parents mariés par rapport aux enfants né-es de parents non-mariés, mérite d’être discuté.
En effet, la révision relative à l’entretien de l’enfant a été sous-tendue par la problématique de la différence entre les situations financières d’enfants de parents mariés et de parents non-mariés.11 La contribution de prise en charge, telle que décidée par le parlement a été précisément un instrument pour viser une égalité de traitement financière pour les enfants.
Comme le relèvent Stoudmann/Prior, il n’y a pas de motifs valables justifiant de traiter différemment un·e enfant du point de vue de l’attribution de l’excédent, en fonction du statut de mariés ou non de ses parents.12
Ceci est d’autant plus juste que, s’agissant du calcul de l’entretien convenable de l’enfant, comme étape préalable à la fixation de la contribution d’entretien de l’enfant, la méthode gagnerait en simplicité d’application si elle exigeait uniquement de calculer le disponible du parent non-gardien pour déterminer l’entretien convenable de l’enfant, pris·e en charge de manière prépondérante par l’autre parent.
D. La répartition de l’excédent en cas de garde alternée
La situation devient plus problématique lorsqu’il s’agit de répartir l’excédent en cas de garde alternée, en fonction des règles de différenciation parents mariés, parents non-mariés.
A ce titre, le Tribunal fédéral n’a pas réglé de manière définitive la problématique de la répartition de l’excédent en cas de garde alternée.
Dans deux premiers arrêts consécutifs à l’application de la méthode concrète en deux étapes, le Tribunal fédéral avait relevé, en présence d’une garde alternée, qu’il se justifiait de répartir l’excédent par moitié entre les parents.13 Il a également confirmé cela dans un arrêt 5A_330/2022.14 Dans ce dernier arrêt, il avait également confirmé la nécessité de partager par moitié le montant de base mensuel entre les parents.15
Dans un arrêt plus récent, le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence, tout en précisant que dans ces affaires, il n’était pas établi que des circonstances concrètes justifiaient une répartition différente, notamment parce qu’il n’était pas démontré que l’un des parents payait une part des frais de loisirs plus importante que l’autre.16 Il a constaté, dans le cas d’espèce, que le père disposait d’un revenu disponible quatre fois supérieur à celui de la mère intimée (avant prise en charge de l’entretien des enfants par les parties) et que ce disponible demeurait plus de deux fois supérieur à celui de la mère une fois l’entretien des enfants couvert, conformément à la répartition effective prévue par le jugement. Le Tribunal fédéral a dès lors admis, en confirmant la décision de la Cour de Justice, que les circonstances du cas d’espèce et en particulier la différence importante de capacité contributive des parties, justifiait de déroger à une stricte répartition de l’entretien des enfants proportionnellement aux disponibles respectifs des parties. De surcroît dans cette affaire, la mère devait s’acquitter de l’entier des frais de danse, de piscine et de judo des enfants.17
On peut observer que dans les cas de garde alternée, il s’agit de prendre en compte la moitié du disponible des deux parents, lorsqu’il existe, indépendamment du statut de parents mariés ou non.18
E. Des éléments déterminants dans la répartition de l’excédent
Les différents arrêts mentionnés mettent en évidence qu’il est possible de s’écarter de la règle dite des « grandes têtes » et « petites têtes » au moment de répartir l’excédent en fonction des circonstances du cas d’espèce. A ce titre, Maier19 a résumé les constellations dans lesquelles le Tribunal fédéral a admis de déroger à ce principe :
- En cas de bonne situation financière des parents, la limitation de la participation de l’enfant à l’excédent de ses parents peut se justifier par des motifs éducatifs.
- L’un des parents travaille à pourcentage plus élevé que l’exige la règle des paliers scolaires (i.e. travail sur-obligatoire).
- Des dépenses spéciales, qui étaient auparavant considérées comme des postes de besoins selon l’ancienne jurisprudence, par exemple des activités de loisirs très coûteuses (sport de haut niveau), peuvent augmenter la part excédentaire de la personne concernée.
- L’un des parents ou les enfants vivent à l’étranger. En raison du niveau de vie plus bas dans certains pays, l’application de la règle de base conduirait de facto à ce que la personne vivant à l’étranger puisse s’offrir un niveau de vie beaucoup plus élevé que les personnes domiciliées en Suisse. La part d’excédent des personnes vivant à l’étranger peut donc être adaptée à la baisse et la part des personnes vivant en Suisse peut être augmentée.
Dans l’affaire analysée dans la présente contribution, c’est le fait que la mère a travaillé à un pourcentage plus élevé que le taux prévu par la règle des paliers scolaires qui a conduit à s’écarter de la répartition « grandes têtes » et « petites têtes »…. A son détriment, puisqu’elle doit ainsi assumer en partie seule, les frais de prise en charge par des tiers. La règle interroge. En effet, que se serait-il passé si la mère avait déjà travaillé à un taux plus élevé que les paliers scolaires durant la vie commune ? Probablement que ces frais auraient été pris en compte et que, dans la répartition du disponible, il aurait alors été constaté que le revenu du parent gardien était sensiblement plus élevé que le revenu du parent non-gardien, ce qui aurait pu justifier de s’écarter du partage habituel du disponible.
Raisonner sur la seule base de la partie appelée sur-obligatoire du travail du parent gardien apparaît dès lors problématique, dans l’application de la méthode concrète en deux étapes.
F. De la prise en compte des tâches de « care » dans la répartition de l’excédent
A notre sens, dans l’appréciation de la répartition du disponible, il apparaît également indispensable de tenir compte de la répartition des tâches de care.20 En effet, la méthode concrète en deux étapes ne permet pas de rendre visible les tâches non rémunérées. Par exemple, le montant de base LP (qui comprend notamment les frais de soins, les frais de nourriture, d’habillement et d’hygiène) doit être partagé dans la mesure de la prise en charge par les parents, soit si la garde est parfaitement partagée, par moitié entre les parents.21
Or, ce montant de base couvre en réalité des dépenses imposées par le travail domestique, telles que préparer les repas, faire les achats (notamment d’habits), accompagner les enfants aux rendez-vous médicaux ou d’hygiène, etc.
Ce travail domestique n’est pourtant pas réalisé de manière équivalente entre les parents, même en cas de garde conjointe, si l’on se réfère aux statistiques de l’OFS.22 Celles-ci mettent en évidence, pour 2020, que les femmes de 15 ans ou plus consacrent en moyenne 28,7 heures par semaine aux activités domestiques et familiales, alors que les hommes y consacrent 19,1 heures.23 Les tâches visées par la terminologie « activités domestiques » comprennent les tâches ménagères, telles que la préparation des repas, le nettoyage, les courses, les tâches administratives, ainsi que la garde des enfants et l’aide à des personnes nécessitant des soins dans le propre ménage. Dans le détail, les femmes consacrent par exemple 7,8 heures à préparer les repas, contre 4,5 heures pour les hommes, et 11,9 heures à jouer avec les enfants et faire leurs devoirs, contre 8,5 heures pour les hommes. Selon l’OFS toujours, la valeur monétaire de l’ensemble du travail non rémunéré accompli en 2020 est estimée à 434 milliards de francs. Les femmes accomplissent 60,5% du volume de travail non rémunéré, les hommes 61,4% du volume de travail rémunéré.24
Répartir ainsi le disponible ou le montant de base au prorata de la prise en charge des enfants n’est ainsi pas suffisant pour garantir la prise en compte de toutes les circonstances du cas d’espèce. Il est en effet relativement fréquent, dans la pratique, que la prise en charge des enfants se réalise en fonction des jours de prise en charge des enfants par des tiers, pour un parent, alors que l’autre parent prend en charge les enfants sur des jours où il ne travaille pas. C’est en général la mère, à temps partiel – comme le confirment les statistiques de l’OFS25 – qui assume donc la garde des enfants personnellement, alors que le père prend en charge les enfants lorsque c’est compatible avec son activité professionnelle à 100%, à savoir lorsque les enfants sont pris en charge par des structures d’accueil pré- ou parascolaires.
Dans la répartition du disponible, il apparaît dès lors fondamental de prendre en compte la situation concrète des parties, y compris en ce qui concerne la répartition du travail de care. La prise en charge de l’enfant sur des jours de congé des enfants, par exemple le mercredi après-midi, ou même sur la pause de midi, ne peut être comparée à une prise en charge des enfants le soir ou la nuit, bien plus compatible, dans la majorité des cas, avec une activité lucrative.
Le travail de care doit dès lors être un élément déterminant dans la répartition du disponible.
G. Conclusions
Depuis la dernière révision du droit à l’entretien des enfants, deux courants semblent s’opposer : le premier exige de recourir à des méthodes claires et complètes de calcul des contributions d’entretien pour garantir la sécurité juridique26 ; le second souhaite s’écarter des règles trop strictes instaurant des paliers qui conduiraient à un effet bascule, pour garantir la prise en compte de toutes les circonstances du cas d’espèce pour trancher la question d’une contribution d’entretien en droit des familles.27
L’équilibre entre les lignes directrices permettant de garantir une sécurité juridique aux décisions en droit des familles, et la nécessité de permettre aux juges de première instance d’apprécier les situations en fonction de toutes les circonstances du cas d’espèce reste difficile à trouver.
S’agissant du partage de l’excédent dans la méthode concrète de calcul des contributions d’entretien pour les enfants, le Tribunal fédéral rappelle régulièrement la nécessité de répartir l’excédent « en équité », et que le principe de « grandes têtes » et « petites têtes » est une ligne directrice à laquelle il peut être dérogé.28 Pourtant, le Tribunal fédéral a régulièrement choisi de publier les arrêts déterminants pour détailler sa méthode de calcul des contributions d’entretien depuis la révision du droit de l’entretien de l’enfant entrée en vigueur au 1er janvier 201729. Il a ainsi réglementé l’interdiction de retenir des postes tels que les loisirs réguliers des enfants dans ce calcul, ou les vacances, il a imposé la prise en compte d’un poste « impôts » dans les frais directs des enfants, et a modifié la règle des paliers scolaires en fixant les modalités de la répartition de l’excédent.
On peut relever que malgré des règles détaillées sur des points qui peuvent apparaître secondaires, tels que les loisirs réguliers des enfants, d’autres points importants pour les calculs n’ont pas été tranchés. Il s’agit notamment du montant du loyer des enfants, qui devrait être déterminé par un pourcentage du loyer de la famille en fonction du nombre d’enfants. De même, les modalités de partage de l’excédent en cas de garde alternée ne sont toujours pas claires aujourd’hui.
A ce jour, il n’a pas eu l’occasion de traiter la reconnaissance du travail de care dans le calcul des contributions d’entretien.
Dans la mesure où le principe d’égalité de traitement s’impose à l’Etat, qui doit s’abstenir de faire subir des discriminations aux personnes en fonction – notamment pour ce qui nous intéresse en droit des familles – de leur « sexe », de leur situation sociale ou de leur mode de vie, ce principe s’applique également au Tribunal fédéral, lorsqu’il décide d’une méthode uniforme de calcul des contributions d’entretien pour toute la Suisse.30 C’est en ce sens, qu’au vu de l’importance du travail de care dans les familles, et de son impact sur l’égalité de traitement entre femmes et hommes au sein des familles, il se justifie que le Tribunal fédéral reconnaisse également cet élément dans l’application de la méthode concrète en deux étapes.
- ATF 147 III 265, consid. 5.4. ↩
- ATF 144 III 377. ↩
- ATF 144 III 377. ↩
- ATF 147 III 265, consid. 7.2. ↩
- ATF 147 III 265, consid. 7.3. ↩
- ATF 147 III 265, consid. 4. ↩
- ATF 149 III 441, consid. 2.4. ↩
- ATF 149 III 441, consid. 2.6. ↩
- TF 5A_735/2023, consid. 8.3. ↩
- ATF 149 III 441, consid. 2.5. ↩
- Conseil fédéral, Message concernant la révision du code civil suisse (Entretien de l’enfant) du 29.11.2013, FF 2014 511 ; voir en particulier p. 531 s., sur les objectifs de la réforme. ↩
- Prior Axelle/Stoudmann Patrick, Entretien de l’enfant mineur : fixation des coûts directs, part à l’excédent et répartition des coûts, FamPra.ch 2024 1, p. 32 s. ↩
- TF 5A_952/2019 et 5A_564/2021. ↩
- TF 5A_330/2022, consid. 4.2.4. ↩
- TF 5A_330/2022, consid. 4.1.2. ↩
- TF 5A_782/2023, consid. 4.4. ↩
- TF 5A_782/2023, consid. 4.4. ↩
- Voir par ex. TF 5A_73/2024, même si pas traité directement et TF 5A_603/2023. ↩
- Maier Philipp, commentaire de l’arrêt TF 5A_668/2021 [entretemps publié aux ATF 149 III 441] in PJA 2/2024 166. ↩
- Voir notamment à se sujet, Thomi Saskia, Die Verantwortungsgemeinschaft – Vorschlag zur Regelung von Care-Arbeit im Schweizer Zivilrecht, thèse Fribourg, Zurich 2024. ↩
- Voir par ex. TF 5A_476/2023, consid. 4.1 et arrêt précité TF 5A_330/2022, consid. 4.1.2. ↩
- OFS, Enquête suisse sur la population active (ESPA), module « Travail non rémunéré », 5.12.2022. ↩
- OFS, Enquête suisse sur la population active (ESPA), module « Travail non rémunéré », 5.12.2022. ↩
- OFS, communiqué de presse, « 03 Travail et rémunération, Compte satellite de la production des ménages 2020 ». ↩
- OFS, Indicateurs de l’égalité entre femmes et hommes et de la conciliation emploi et famille 3/2024, 26.09.2024. Le taux d’activité des pères qui ont des enfants de moins de 4 ans est stable depuis 2010 et se situe à un niveau élevé autour de 96 à 98%. Quant au taux d’activité des mères ayant des enfants de moins de 4 ans, il était de 79% en 2023 (11 points de pourcentage plus élevé qu’en 2010). ↩
- Voir par exemple ATF 147 III 265 qui imposait une méthode de calcul uniforme et qui se voulait détaillée. ↩
- Voir par exemple ATF 147 III 249 qui s’écartait de la règle de l’âge pour le droit à une contribution d’entretien post-divorce. ↩
- ATF 147 III 265, consid. 7.3. ↩
- FF 2014 511, RO 2015 4299. ↩
- Burgat Sabrina, Aspects patrimoniaux de la famille : quelles perspectives ?, in : De Rossa Federica/Cometta Flavio/Pasucci Paola (édit.), Il diritto del divorzio nell’ evoluzione del diritto di famiglia – Atti della giornata di studio del 3 giugno 2024, CFPG 62, Lugano 2025, p. 197 ss. ↩