TF 5A_857/2016 - ATF 143 III 617 (d) du 8 novembre 2017
Divorce; entretien; procédure; art. 179 al. 1 CC; 276 CPC
Modification des mesures protectrices ou provisionnelles (art. 179 al. 1 CC ; art. 276 CPC) – rappel des principes. Une modification des mesures protectrices de l’union conjugale suppose un changement notable et durable des circonstances depuis l’entrée en force de la décision. Il y a un motif de modification lorsque les constatations de fait qui ont justifié la première décision se sont révélées fausses par la suite ou ne se sont pas réalisées comme prévu, ou lorsque la décision s’avère injustifiée car des faits déterminants n’étaient pas connus du juge (consid. 3.1).
Caractère durable des modifications de circonstances relatives au revenu d’un indépendant. Le revenu de l’activité indépendante est constitué par le bénéfice net qui correspond soit à l’augmentation de la fortune commerciale (différence entre le capital propre à la fin de l’exercice courant et à la fin de l’exercice précédent) soit au bénéfice dans le compte de profits et pertes régulièrement tenu. Pour déterminer la capacité de gain d’un indépendant en tenant compte des variations de revenu, il faut se baser sur le revenu net moyen de plusieurs années, en général des trois dernières. Selon les circonstances, il est possible de ne pas tenir compte de clôtures des comptes exceptionnelles, i.e. particulièrement bonnes ou particulièrement mauvaises. Toutefois, lorsque les revenus diminuent ou augmentent de manière constante, le gain de l'année précédente est considéré comme le revenu décisif, qu'il convient de corriger en prenant en considération les amortissements extraordinaires, les réserves injustifiées et les achats privés. En principe, l’époux indépendant peut prouver un changement durable de revenus justifiant une modification des mesures protectrices de l’union conjugale uniquement au moyen de plusieurs clôtures annuelles des comptes qui montrent une diminution constante de ses revenus. Une seule clôture particulièrement bonne ou mauvaise ne permet pas de retenir une modification durable des circonstances (consid. 5.1).
Caractère durable des modifications de circonstances en cas de chômage. Une période de chômage de plusieurs mois, en principe de quatre mois minimum, peut être considérée comme un changement durable des circonstances. La jurisprudence se base sur les dispositions de la LACI et de l’OACI (notamment : art. 8 al. 1 let. a LACI en lien avec l’art. 10 LACI ; art. 30 al. 1 let. a LACI ; art. 17 al. 1 LACI et 26 OACI en lien avec l’art. 30 al. 1 let. c LACI). Bien que le juge des mesures dans le cadre de la procédure de modification ne soit pas lié par les décisions des autorités administratives, il peut apprécier le fait qu’une indemnité de chômage a été octroyée et prévue pour plusieurs mois de manière continue, à tout le moins, comme un indice montrant que la personne concernée est effectivement et involontairement au chômage et qu’elle cherche personnellement du travail (consid. 5.2).
Perte de travail involontaire et début d’une activité lucrative indépendante. Lorsque, durant la séparation, un époux perd de façon involontaire sa place de travail et commence une activité lucrative indépendante (au lieu de recourir aux indemnités de chômage), il ne peut pas être retenu, de manière systématique, que le changement de circonstances n’est rendu vraisemblable que lorsqu’il peut se baser sur plusieurs clôtures annuelles des comptes. Une telle solution reviendrait à punir l’esprit d’initiative et à ne pas traiter de manière identique des situations pourtant semblables. Ainsi, il faut, au contraire, trancher la question en tenant compte de l’ensemble des circonstances concrètes du cas d’espèce (consid. 5.3).
Premièrement, il faut examiner si l’époux a abandonné son travail volontairement, voire dans l’intention de nuire, et ce nonobstant l’existence d’une lettre formelle de licenciement. Même si, à ce stade, une perte involontaire de la place de travail est admise, il faut examiner ensuite si l’époux a tout entrepris pour trouver un travail lui permettant de réaliser un revenu équivalent à celui de son ancienne activité (consid. 5.4.1).
Deuxièmement, il faut apprécier les pièces justificatives concernant le revenu issu de la nouvelle activité indépendante. A tout le moins, il faut produire un bilan intermédiaire qui couvre une période de plusieurs mois. Dans le cadre de l’appréciation, se posent en particulier les questions suivantes : (1) Faut-il déduire des amortissements ou des réserves (qui conduisent dans les faits à des économies ou à des bénéfices cachés) ? 2) Existe-t-il des indices montrant que le revenu indiqué ne correspond pas au revenu effectif et que, dès lors, le revenu ne peut pas être déterminé sur la base du bilan intermédiaire mais plutôt, par exemple, au moyen des achats privés ? Au besoin, la pertinence du bilan intermédiaire peut être examinée au moyen des enquêtes sur la structure des salaires (consid. 5.4.2).
Finalement, il faut tenir compte du fait qu’il faut en principe attendre deux à trois ans, après le début de l’activité comme indépendant, avant qu’un revenu complet puisse être réalisé. Ce fait d’expérience ne réfute pas le caractère durable d’une modification de revenu, mais uniquement son ampleur. Il est possible d’en tenir compte au moyen d’une clause ; les clauses de rétablissement ou de réévaluation à la hausse sont admissibles dans les jugements de modification. L’époux créancier d’entretien n’est pas laissé sans protection face aux éventuelles tentatives de l’époux débiteur visant à dissimuler comptablement l’amélioration de sa capacité contributive et à échapper à la réévaluation à la hausse qui a été réservée. En effet, les contributions d’entretien fixées dans le cadre d’une procédure de mesures protectrices de l’union conjugale ou de mesures provisionnelles peuvent être augmentées ultérieurement par le biais d’une demande de modification, sans que s’appliquent les restrictions prévues en cas de modification de l’entretien après le divorce (art. 129 al. 3 CC) (consid. 5.4.3).
Provisio ad litem et assistance judiciaire. Le droit à l’assistance judiciaire est subsidiaire à la prétention matérielle en versement d’une provisio ad litem. Il faut faire valoir cette dernière prétention devant le juge du fond compétent dans la procédure cantonale. La demande ne peut pas être faite par le biais d’une requête en mesures provisionnelles devant le Tribunal fédéral (art. 104 LTF) et n’est pas admise dans le cadre de la procédure devant le Tribunal fédéral (consid. 7).