TF 5A_590/2016 - ATF 143 III 624 (d) du 12 octobre 2017

Divorce; étranger; filiation; procédure; art. 260a al. 1 et 260b al. 1 CC; 59 al. 2 let. a et 296 CPC

Interprétation de l’art. 260a al. 1 CC (texte légal et volonté du législateur). D’après la lettre de la disposition, les communes d’origine et de domicile de l’auteur de la reconnaissance ont chacune qualité pour agir (Klagerecht) afin d’intervenir contre les reconnaissances d’enfant abusives. L’abus peut résider dans la volonté d’obtenir frauduleusement un droit de séjour ou de cité et les avantages qui y sont liés (prestations d’assistance, droit de vote et d’éligibilité, etc.). Le législateur de l’époque a prévu que l’intérêt public à combattre les abus avait la priorité sur l’intérêt de l’enfant au maintien du rapport de filiation (consid. 3.4.1). Malgré la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant, le législateur suisse n’a ni limité ni supprimé la qualité pour agir de la collectivité, comme le demande la doctrine. Plus récemment, il a accordé une grande importance à la prévention des abus en droit des étrangers (cf. art. 97a, 105 ch. 4 et 109 al. 3 CC). Ainsi, le législateur a confirmé sa volonté clairement exprimée en 1974 relativement à l’art. 260a al. 1 CC (consid. 3.4.2).

Exigence d’un intérêt digne de protection (art. 59 al. 2 let. a CPC. Le Code civil consacre le bien de l’enfant, mais pas pour déterminer la qualité pour agir. Décider de faire valoir en justice un droit subjectif relève, en principe, de la libre appréciation de son titulaire, même quand le législateur a prévu, pour sauvegarder l’intérêt public, qu’une autorité est légitimée à intenter une action qui va influencer une relation juridique entre des tiers. L’autorité doit alors se prévaloir d’un intérêt digne de protection (art. 59 al. 2 let. a CPC). Un tel intérêt doit être admis en présence d’une reconnaissance probablement abusive. Le prétendu risque que la collectivité attaque sans retenue des reconnaissances d’enfant est écarté par l’exigence de l’intérêt digne de protection, mais pas par une limitation de la qualité pour agir (consid. 3.4.3).

Pesée des intérêts. La loi impose au juge du fond d’effectuer une pesée d’intérêts entre l’intérêt public et l’intérêt privé de l’enfant. Le Code civil n’exige pas que la parenté génétique l’emporte impérativement sur la parenté sociale. Une pesée d’intérêts doit avoir lieu dès que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père génétique de l’enfant. La procédure judiciaire permet alors à l’enfant de réaliser son droit de connaître son ascendance génétique. La société dans son ensemble a un fort intérêt à ce que l’utilisation abusive de prestations étatiques soit combattue, pour favoriser le principe de la bonne foi, la sécurité juridique et la paix juridique. Que l’intérêt privé l’emporte semble difficilement envisageable dans ce contexte et se limiterait, cas échéant, à de rares exceptions (consid. 3.4.4 et 3.4.5). Ainsi, l’intérêt de l’enfant à ce que le rapport de filiation avec l’auteur de la reconnaissance soit maintenu ne restreint pas la qualité de la commune d’origine ou de domicile de l’auteur de la reconnaissance d’agir en contestation de cette reconnaissance (consid. 3.5).

Qualité pour agir d’une autre collectivité publique. Une collectivité publique autre que celles mentionnées à l’art. 260a al. 1 CC peut également avoir qualité pour agir, en tant qu’autre personne intéressée. Elle doit alors démontrer un intérêt propre, et ne peut pas uniquement invoquer l’intérêt général : elle doit être directement et gravement touchée par le «faux» rapport de filiation (consid. 4.3).

Preuve de la paternité (art. 260b al. 1 CC ; art. 296 al. 2 CPC). Le demandeur doit prouver que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père de l’enfant (art. 260b al. 1 CC). Les parties et les tiers doivent se prêter aux examens nécessaires à l’établissement de la filiation et y collaborer, dans la mesure où leur santé n’est pas mise en danger (art. 296 al. 2 CPC). L’expertise ADN est le moyen de preuve le plus sûr, mais elle n’exclut pas d’autres moyens de preuve. Chaque moyen de preuve objectivement propre à déterminer la paternité ou l’absence de paternité doit être admis et recueilli (consid. 5.1).

Maximes inquisitoire et d’office - collaboration des parties (art. 161, 163 ss, 296 et 343 al. 1 CPC). Dans les procédures de droit de la famille applicables aux enfants, le juge applique la maxime inquisitoire (illimitée) et la maxime d’office (art. 296 al. 1 et 3 CPC). Le devoir de collaborer des parties et des tiers (art. 296 al. 2 CPC) vient compléter ces maximes. Ces règles ont pour but de permettre de rechercher la vérité matérielle dans l’intérêt public. Les dispositions concernant le droit des parties et des tiers de ne pas collaborer (art. 163 à 167 CPC) ne sont pas applicables dans les causes concernant l’établissement de la filiation (art. 296 al. 2, 2e phrase, CPC). Ainsi, lorsqu’une partie ou un tiers refuse sans motif une expertise ADN, le juge ne peut pas en conclure qu’il est le père de l’enfant. Ce refus constitue toutefois un indice à prendre en compte dans l’appréciation des preuves. Dans le cadre de l’art. 161 CPC, le tribunal peut se limiter à informer les parties et les tiers qu’ils n’ont pas le droit de refuser de collaborer. Les conséquences d’un refus injustifié de collaborer peuvent consister en une menace de la peine de l’art. 292 CP, une amende d’ordre ou une mesure de contrainte (art. 343 al. 1 let. a-d CPC) (consid. 5.2.1, 5.2.2, 5.2.3, 6.2.1 et 6.2.2).

Protection de l’intérêt de l’enfant au maintien du rapport de filiation. L’enfant n’a pas un intérêt abstrait à ne pas se retrouver sans père. L’intérêt de l’enfant au maintien du rapport de filiation est en principe protégé lorsqu’il existe une relation père-enfant effectivement vécue. Lorsque le père et l’enfant ne vivent pas dans le même foyer, l’existence d’une relation suffisamment constante et de liens personnels étroits doit ressortir des circonstances concrètes (consid. 7.2).





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Filiation

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Procédure

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Publication prévue

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Analyse

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Analyse de l'arrêt TF 5A_590/2016 - ATF 143 III 624 (d)

Olivier Guillod

21 décembre 2017

Quand la politique migratoire restrictive éclipse l’intérêt de l’enfant