TF 5A_454/2017 - ATF 144 III 377 (f) du 17 mai 2018
Mesures protectrices; entretien; revenu hypothétique; art. 173 al. 3, 176, 276 al. 2, 285 al. 2 CC
Point de départ des contributions d’entretien (art. 173 al. 3 CC). Lorsque les conclusions ne précisent pas la date à partir de laquelle les contributions d’entretien sont réclamées, il n’est pas arbitraire de retenir comme dies a quo le jour du dépôt de la requête (consid. 4.1).
Revenu hypothétique – rappel de principe et taux de reprise exigible du parent gardien (au regard du nouveau droit de l’entretien de l’enfant). En principe, on ne peut (pouvait ?) exiger d’un époux la (re)prise d’une activité lucrative à un taux de 50% avant que le plus jeune des enfants dont il a la garde ait atteint l’âge de 10 ans révolus, le juge devant lui laisser un délai pour s’organiser à ces fins, et de 100% avant qu’il ait atteint l’âge de 16 ans révolus. Il ne s’agit pas de règles strictes et leur application dépend des circonstances du cas concret ou des capacités financières du couple, le juge ayant un large pouvoir d’appréciation (art. 4 CC). Une activité lucrative apparaît exigible si elle a déjà été exercée durant la vie conjugale, si l’enfant est gardé par un tiers, de sorte que le détenteur de l’autorité parentale ou de la garde n’est pas empêché de travailler pour cette raison, ou encore si la situation financière des époux est serrée (consid. 6.1.1, 6.1.2 et 6.1.2.1).
Dans son Message (FF 2014 511 ss), le Conseil fédéral a précisé qu’il ne s’agit pas de privilégier une prise en charge par les parents par rapport à une prise en charge par des tiers, mais de faire en sorte que la première option puisse être retenue si elle est dans l’intérêt de l’enfant, indépendamment du statut des parents. Il a également préconisé un réexamen de la jurisprudence actuelle. La doctrine souligne que la jurisprudence précitée n’est plus en phase avec les réalités contemporaines et que l’on pourrait à l’avenir progressivement exiger d’un parent qui s’occupe d’enfants en bas âge qu’il travaille à temps partiel, puis à 100% dès que l’enfant le plus jeune a 10 ou 12 ans. Une partie de la doctrine préconise de se référer aux degrés scolaires : dès l’entrée du plus jeune des enfants à l’école primaire (vers 6-7 ans), une activité à un taux de 40-50% serait exigible. Selon les circonstances, un taux de 20-30% serait même envisageable dès l’entrée du plus jeune des enfants à l’école enfantine (vers 4-5 ans). Dès l’accession aux degrés supérieurs (vers 11-12 ans), ce taux pourrait être de 70 à 80% et, enfin, dès que l’enfant le plus jeune a 16 ans, un emploi à plein temps pourrait être exigé. Certains tribunaux cantonaux (notamment Fribourg) adoptent déjà une solution assez proche. D’autres décisions cantonales proposent d’adapter les tranches d’âge selon le droit des poursuites, à savoir qu’aucune activité lucrative n’est exigée du parent jusqu’à ce que le plus jeune des enfants ait atteint l’âge de 6 ans révolus, et que le taux d’activité lucrative exigible est ensuite de 35% à partir de l’âge de 6 ans révolus puis de 55% à partir de l’âge de 12 ans révolus (consid. 6.1.2.2).
Dans le cas d’espèce, on peut raisonnablement exiger de l’épouse (âgée de 31 ans, sans formation, sans emploi mais en recherche active, ayant toutefois travaillé durant la vie commune, mais avant la naissance de l’enfant en 2014, dans le domaine de la sécurité, l’enfant étant placé dans une garderie à raison de quatre après-midis par semaine) qu’elle reprenne une activité lucrative à 30%, soit à raison de 12 heures par semaine dans un domaine ne nécessitant pas de formation particulière, par exemple comme agent d’entretien dans une entreprise de nettoyage, pour un revenu mensuel brut estimé à 1'030 fr. (consid. 6.2, 6.3 et 6.4).
Contribution de prise en charge de l’enfant selon le nouveau droit (art. 276 al. 2 et 285 al. 2 CC). Depuis la réforme en vigueur depuis le 1er janvier 2017, l’entretien convenable de l’enfant englobe le coût lié à sa prise en charge directe, indépendamment du statut de ses parents (dans un but d’égalité de traitement entre parents mariés et parents non mariés), ce qui permet au parent qui s’occupe de l’enfant de prétendre à l’allocation d’une contribution d’entretien pour la prise en charge de l’enfant et, partant, de s’en occuper personnellement lorsque cela correspond à la répartition des tâches durant la vie commune. Aux frais directs générés par l’enfant viennent donc maintenant s’ajouter les coûts indirects de sa prise en charge (prestations en nature et dépenses qu’elles induisent) (consid. 7.1 et 7.1.1).
Après avoir effectué une analyse des différentes méthodes de calcul de la contribution de prise en charge appliquées à ce jour (méthode du coût d’opportunité ; méthode du coût de remplacement également appelée méthode du prix du marché ; méthode des frais de subsistance dite aussi du coût de la vie ; méthode forfaitaire du taux de prise en charge et méthode des pourcentages), tenu compte du Message du Conseil fédéral, de l’application faite par les tribunaux cantonaux et des courants de la doctrine, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion qu’en principe la méthode des frais de subsistance semble correspondre le mieux au but du législateur, à savoir la garantie économique que le parent – marié ou non – qui assure le prise en charge de l’enfant puisse subvenir à ses propres besoins, tout en s’occupant de l’enfant. Cette méthode, qui consiste à retenir comme critère la différence entre le salaire net perçu de l’activité lucrative et le montant total des charges du parent gardien, a pour avantage de couvrir uniquement les coûts indirects induits par le prise en charge (et pas de rémunérer le parent qui s’occupe de l’enfant), de supprimer les inégalités de traitement entre les enfants selon que leurs parents ont été mariés ou non et d’éviter de procéder à des calculs de contrôle de la contribution de prise en charge pour corriger le situation lorsqu’elle n’est pas conforme à l’équité, comme cela est le cas avec l’utilisation de la méthode du taux de prise en charge, dans laquelle il est par ailleurs très difficile en pratique de déterminer le temps dévolu à la prise en charge effective (consid. 7.1.2.1 et 7.1.2.2).
Le juge doit décider de la forme et de l’ampleur de la contribution de prise en charge, selon le bien de l’enfant. Dans l’hypothèse d’une prise en charge externe, les frais qui en découlent sont à considérer comme des coûts directs et leur calcul ne pose pas de problème. En cas de prise en charge par l’un des parents (ou les deux), ce qui l’empêche de travailler – du moins à plein temps –, la contribution de prise en charge doit permettre de garantir sa présence aux côtés de l’enfant. Elle correspond ainsi au montant qui manque à un parent pour couvrir ses propres frais de subsistance, quand bien même les deux parents travailleraient et se partageraient à égalité la prise en charge. Pour calculer les frais de subsistance, le Tribunal fédéral se réfère aux recommandations du Conseil fédéral de se baser sur le minimum vital du droit des poursuites, voire du droit de la famille dès que la situation le permet (consid. 7.1.3 et 7.1.4).