TF 5A_384/2018 - ATF 144 III 481 (d) du 21 septembre 2018
Divorce; protection de l’enfant; entretien; art. 125 al. 1 et al. 2 ch. 6, 163, 276a al. 1, 285 al. 2 CC
Méthode de calcul des contributions d’entretien. La loi n’impose pas une méthode spécifique pour le calcul des contributions d’entretien, mais le mélange de méthodes individuelles n’est pas admis. Vu la réforme du droit de l’entretien au 1er janvier 2017 qui complique les calculs et vu la mobilité intercantonale croissante, le Tribunal fédéral doit déterminer une méthodologie uniforme pour toute la Suisse dans ce domaine. Il a récemment fait un premier pas (TF 5A_454/2017) en imposant la méthode dite du coût de la vie. Il clarifie ici l’exigibilité d’une activité lucrative du parent prenant en charge l’enfant et les relations entre la contribution de prise en charge et l’entretien de l’ex-conjoint (consid. 4.1).
Contribution de prise en charge de l’enfant. L’art. 285 al. 2 CC, élément central de la révision de 2017, prévoit que la contribution d’entretien sert aussi à garantir la prise en charge de l’enfant par les parents et les tiers. C’est une troisième composante de l’entretien, à côté de la contribution pécuniaire et de l’entretien en nature. La contribution pécuniaire doit couvrir les coûts (directs) de prise en charge par un tiers, à savoir les frais payés au tiers pour les soins, l’éducation et la formation de l’enfant. La contribution de prise en charge couvre les coûts (indirects) encourus par un parent qui, en raison de la prise en charge personnelle de l’enfant, est empêché d’avoir une activité lucrative pour subvenir à son propre entretien.
Idem. Relations avec les autres composantes de l’entretien. Si les ressources manquent, la contribution pécuniaire passe avant la contribution de prise en charge, parce qu’elle sert directement à la satisfaction des besoins matériels de l’enfant, tandis que la contribution de prise en charge est affectée économiquement au parent qui prend soin de l’enfant et ne couvre donc qu’indirectement les besoins de l’enfant (application par analogie de l’art. 276a al. 1 CC. L’obligation d’entretien envers l’enfant mineur prime l’entretien de la famille (art. 163 CC) et l’entretien après divorce (art. 125 CC). Ainsi, les fonds disponibles doivent servir d’abord à couvrir la contribution pécuniaire à l’entretien de l’enfant, puis à sa prise en charge et enfin à l’entretien de la famille ou après le divorce (consid. 4.3).
Idem. Principe de continuité. La contribution de prise en charge n’est pas un salaire pour les soins donnés à l’enfant, mais doit garantir la présence physique du parent auprès de l’enfant. Comme il appartient aux parents, et non à l’Etat, de se répartir librement les rôles, leur choix mérite d’être protégé au-delà de leur séparation (principe de continuité), car cela correspond en principe à l’intérêt de l’enfant. Le principe de continuité doit donc aussi être appliqué, indépendamment de l’état civil, à la contribution de prise en charge (consid. 4.4 et 4.5).
Idem. Exigibilité d’une activité lucrative du parent prenant en charge les enfants. Le principe de continuité ne vaut pas pour l’éternité. Il faut donc fixer des règles sur l’exigibilité d’une activité lucrative du parent séparé prenant l’enfant en charge, en acceptant le principe d’égalité entre la prise en charge par un parent ou par un tiers et donc en tenant compte de la disponibilité de structures d’accueil de l’enfance. En cas de désaccord entre les parents, le parent prenant en charge l’enfant n’a pas un droit unilatéral de choisir la forme de prise en charge de l’enfant, qui relève de l’exercice de l’autorité parentale. La question centrale est donc de savoir dans quelle mesure et pour combien de temps l’enfant a besoin d’une prise en charge personnelle par le parent dans le cas concret (consid. 4.6 et 4.7). La scolarisation de l’enfant libère progressivement le parent d’une partie de la prise en charge de l’enfant et constitue ainsi un critère approprié pour fixer de nouveaux paliers dans l’exigibilité d’une activité lucrative. Il faut dès lors exiger en principe du parent qui s’occupe de l’enfant qu’il exerce une activité rémunérée à 50% dès la scolarité obligatoire du plus jeune enfant, à 80% dès que l’enfant le plus jeune entre à l’école secondaire et à plein temps dès qu’il atteint l’âge de 16 ans (consid. 4.7.6). Par ailleurs, le tribunal de première instance devra vérifier dans les faits si le parent qui s’occupe de l’enfant ne peut pas être déchargé autrement que par la scolarité obligatoire (par exemple : placement de l’enfant dans une crèche avant la scolarité obligatoire). On sait que dans la plupart des ménages communs, les deux parents travaillent ; il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement dans les ménages séparés, d’autant moins qu’une telle situation entraine des coûts plus élevés (consid. 4.7.7). En résumé, il faut retenir comme lignes directrices premièrement qu’on peut exiger du parent prenant en charge un enfant qu’il prenne, reprenne ou étende son activité lucrative dès le début de la scolarité obligatoire et deuxièmement que le juge prenne en compte équitablement la décharge du parent découlant de la prise en charge volontaire de l’enfant par des tiers, avant ou à côté de l’école (consid. 4.7.8). Des dérogations à ces lignes directrices restent bien sûr possibles dans des cas particuliers (consid. 4.7.9).
Application des nouvelles lignes directrices à l’entretien entre (ex-)conjoints. Le mariage a perdu son caractère d’ « institution de prévoyance » et le taux de divorce approche 50%. On ne peut dès lors plus vraiment parler de la confiance digne de protection dans la continuation du mariage. Il faut tenir compte des changements sociaux et également du développement de la prise en charge des enfants par des tiers, à laquelle recourent la majorité des parents. Ainsi, l’entretien dû à un (ex-)conjoint doit suivre les mêmes lignes directrices que celles posées aux consid. 4.7.6 ss (consid. 4.8.2).