TF 1C_338/2018 - ATF 145 I 207 (f) du 10 avril 2019
Mariage; couple; art. 34 al. 2 Cst.; 10a al. 2 et 11 al. 2 LDP
Droits politiques – votation fédérale du 28.02.2016 sur l’initiative populaire du 05.11.2012 « pour le couple et la famille – Non à la pénalisation du mariage », état d’information du corps électoral (art. 34 al. 2 Cst. ; 10a al. 2 et 11 al. 2 LDP).
Après le rejet le 28 février 2016 de l’initiative populaire du 5 novembre 2012 « Pour le couple et la famille – Non à la pénalisation du mariage », qui prévoyait de modifier la Constitution fédérale en y incorporant un art. 14 al. 2 interdisant de pénaliser les couples mariés par rapport aux autres couples, l’administration fédérale des contributions a indiqué que le nombre de couples mariés pénalisés s’élève en réalité à environ 450'000, et non pas aux 80'000 annoncés avant la votation. Le 18 juin 2018, un citoyen suisse a réclamé l’annulation de la votation fédérale du 28 février 2016 en faisant valoir que le corps électoral avait été induit en erreur par l’information inexacte donnée et que cela avait eu une influence sur l’issue du scrutin. Les chiffres avancés faisaient croire que le nombre de couples mariés concernés était marginal, alors qu’en réalité, plus de la moitié des couples mariés à deux revenus (66%) étaient touchés (consid. 2).
L’article 34 al. 2 Cst. protège la libre formation de l’opinion des citoyens. Il garantit aux citoyens qu’aucun résultat de vote ne soit reconnu s’il ne traduit pas de façon fidèle et sûre l’expression de la leur libre volonté. Chaque citoyen doit pouvoir se déterminer en élaborant son opinion de la façon la plus libre et complète possible et exprimer son choix en conséquence. Le texte soumis à votation doit être accompagné de brèves explications du Conseil fédéral, qui doivent rester objectives (art. 11 al. 2 LDP) et respecter les différents principes d’exhaustivité, d’objectivité, de transparence et de proportionnalité (art. 10a al. 2 LDP). S’il existe des incertitudes significatives sur l’exactitude d’une information, elles doivent être présentées comme telles ; principes qui valent d’autant plus pour les explications du Conseil fédéral (consid. 2.1).
Après avoir constaté le caractère erroné ou lacunaire de l’information diffusée (consid. 3 à 3.4), le Tribunal fédéral se demande si les irrégularités constatées ont pu influencer de façon déterminante le résultat du scrutin. En matière de recours contre les votations, la jurisprudence distingue ceux qui sont déposés avant ou peu après de ceux qui sont déposés bien après. Dans le second cas, les exigences pour l’annulation d’une votation sont élevées et le principe de la sécurité du droit (art. 5 Cst.), de la bonne foi (art. 9 Cst.) et de l’égalité (art. 8 al. 1 Cst.) peuvent s’y opposer. Il faut donc procéder à une pesée globale des intérêts (consid. 4.1).
Le Tribunal fédéral procède à une pesée d’intérêts et conclut que la sécurité du droit ne s’oppose pas à l’annulation du scrutin, que les irrégularités constatées sont crasses, que l’issue du scrutin est serrée et qu’il est dès lors possible que les irrégularités l’aient influencée. Par conséquent, le recours est admis et la votation fédérale du 28 février 2016 est annulée (consid. 4.3 et 5).