ATF 146 III 169 - TF 5A_457/2018 (i) du 11 février 2020

Divorce; entretien; art. 1 al. 2, 276a CC

Primauté de l’entretien de l’ex-conjoint·e sur l’enfant majeur·e – état de la jurisprudence et art. 276a CC. La jurisprudence du Tribunal fédéral a établi qu’en cas de ressources insuffisantes, l’obligation d’entretien envers l’ex-conjoint·e prévaut sur celle envers l’enfant majeur·e. Les frais d’entretien de l’enfant adulte ne devraient donc pas être inclus dans le minimum vital (élargi) de la partie débitrice d’aliments. Suite à une modification législative récente, l’art. 276a CC (entré en vigueur le 1er janvier 2017) prévoit que « l’obligation d’entretien envers un enfant mineur prime les autres obligations d’entretien du droit de la famille » (al. 1). « Dans des cas dûment motivés, le juge peut déroger à cette règle, en particulier pour éviter de porter préjudice à l’enfant majeur qui a droit à une contribution d’entretien » (al. 2). Dans le cas d’espèce, le tribunal cantonal tessinois a estimé que, pour de justes motifs, il pouvait être dérogé au principe susmentionné, en accordant une priorité de l’entretien de l’enfant majeure sur celle de l’ex-conjoint (son père). La question était donc de savoir si la nouvelle disposition légale remettait en cause la jurisprudence jusque-là bien établie du Tribunal fédéral (consid. 4.2.1).

Méthodes d’interprétation de l’art. 276a CC. L’art. 276a CC porte la note marginale « priorité de l’obligation d’entretien à l’égard de l’enfant mineur ». Le texte de l’alinéa 1 établissant ce principe est clair. L’alinéa 2 prévoit la possibilité pour l’autorité judiciaire de déroger à ce principe dans des cas justifiés, notamment pour ne pas pénaliser l’enfant majeur·e qui a droit à une pension alimentaire. Ce texte (qui ne présente pas de divergences entre les versions des trois langues officielles) se prête à plusieurs lectures : il peut être compris soit comme signifiant que dans des cas justifiés, l’obligation de subvenir aux besoins de l’enfant mineur·e ne peut prévaloir sur celle envers l’enfant majeur·e, soit que, dans des cas justifiés, l’obligation d’entretien envers l’enfant majeur·e peut également prévaloir sur d’autres obligations d’entretien du droit de la famille. Il est donc nécessaire de se référer à d’autres critères d’interprétation (consid. 4.2.2.1). Les méthodes d’interprétation historique, téléologique et systématique montrent que l’art. 276a CC concerne en première ligne la relation entre frères et sœurs. L’art. 276a al. 2 CC apparaît comme un correcteur d’éventuelles inégalités entre un·e enfant majeur·e et un frère ou une sœur de moins de 18 ans, et non entre un·e enfant majeur·e et un·e conjoint·e créancier·ère d’entretien (consid. 4.2.2.2-4).

Sens à donner à l’art. 276a CC. L’art. 276a al. 2 CC ne vise pas à faire bénéficier l’enfant majeur·e d’une priorité (du moins pas directement), mais plutôt à permettre de réduire l’avantage accordé à l’enfant mineur·e par l’art. 276a al. 1 CC. L’art. 276a al. 2 CC doit donc être compris en ce sens que, dans des cas justifiés, l’obligation d’entretien envers l’enfant mineur·e ne doit pas prévaloir sur celle envers l’enfant majeur·e. On ne peut pas en déduire une priorité de l’enfant majeur·e sur d’autres obligations d’entretien. La doctrine majoritaire (FOUNTOULAKIS, MEIER, STOUDMANN, GUILLOD, GMÜNDER) reconnaît aussi que le changement législatif n’implique pas un changement dans la jurisprudence susmentionnée du Tribunal fédéral, sans toutefois cacher les défauts de cette solution (consid. 4.2.3). Dans ces conditions, rien ne justifie donc de remettre en cause la jurisprudence du Tribunal fédéral, même après l’entrée en vigueur de l’art. 276a al. 2 CC, de sorte que l’obligation d’entretien envers l’ex-conjoint·e continue de prévaloir sur celle envers l’enfant adulte en formation. Cela signifie concrètement que l’art. 276 al. 2 CC est sans portée dans les cas où un·e ex-conjoint·e a également droit à une contribution d’entretien, créant ainsi une différence de traitement entre les enfants majeur·e·s en fonction du statut matrimonial du parent débiteur. Cependant, il n’appartient pas à la Cour suprême fédérale d’y remédier, même si la loi peut paraître insatisfaisante. Il appartiendra au législateur, s’il le juge opportun, de modifier le Code civil (consid. 4.2.2.5).

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Arrêt analysé

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Analyse de l'arrêt ATF 146 III 169 - TF 5A_457/2018 (i)

Béatrice Haeny

25 juin 2020

La priorité de l’entretien de l’ex-conjoint-e sur celui de l’enfant majeur-e, ou quand le Tribunal fédéral se retrouve confronté à un obstacle lui aussi majeur