TF 5A_222/2018 - ATF 146 III 136 (f) du 28 novembre 2019
Divorce; filiation; art. 256c CC; 68, 69 LDIP
Contestation de la filiation – critères de rattachement, droit applicable et intérêt prépondérant de l’enfant (art. 68, 69 LDIP). La contestation de la filiation est régie par le droit de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant. Toutefois, si aucun des parents n’est domicilié dans cet Etat et que les parents et l’enfant ont une nationalité commune, c’est le droit de l’Etat de même nationalité qui est applicable (art. 68 LDIP). Le moment déterminant pour arrêter le droit applicable est la date de la naissance de l’enfant (art. 69 al. 1 LDIP). Cette disposition a pour but de fixer dans le temps les critères de rattachement de l’article 68 LDIP. La date de naissance de l’enfant est déterminante lorsque la filiation découle de la loi, en particulier s’agissant de la présomption de paternité de l’époux de la mère. Cette solution ne s’impose pas nécessairement lorsqu’un jugement relatif à la filiation est rendu plusieurs années après la naissance, alors que la résidence habituelle de l’enfant concerné·e ne se trouve plus dans le même Etat que celui où il est né. Lorsque le statut juridique de l’enfant et son environnement social ne coïncident plus, la loi réserve la possibilité de se fonder sur la date de l’introduction de l’action, à la condition qu’un intérêt prépondérant de l’enfant l’exige (art. 69 al. 2 LDIP). Ce rattachement est subsidiaire à celui de la naissance. La notion « d’intérêt prépondérant » n’est pas définie dans la loi. Elle vise l’intérêt concret de l’enfant. L’article 69 al. 2 LDIP s’applique à la contestation de paternité dans le contexte judiciaire. Dans ce cas, le critère de rattachement temporel doit permettre à l’enfant d’augmenter ses chances d’établir ou de clarifier sa filiation. L’article 69 al. 2 LDIP n’est cependant pas une disposition d’ordre public destinée à évincer le droit étranger au profit du droit suisse, de sorte que son application ne doit intervenir qu’en cas de contestation judiciaire, lorsque le juge parvient à la conclusion que ce rattachement conduit à l’application du droit plus favorable à l’enfant dans le cas d’espèce. A défaut de constatations particulières relatives à l’intérêt de l’enfant, il ne peut être admis par principe que l’intérêt de l’enfant commande de toujours appliquer le droit qui permet d’entrer en matière sur l’action. En revanche, il existe a priori un intérêt de l’enfant à voir appliquée la loi du pays où se trouve son centre de vie au moment de l’introduction de la procédure. Bien que l’article 69 al. 2 LDIP soit subsidiaire à son alinéa 1, son application ne doit pas être envisagée trop restrictivement, à l’aune de l’intérêt de l’enfant examiné à la lumière des circonstances particulières concrètes. A cet égard, l’intérêt des parents à l’application de l’un des droits n’est pas pertinent et l’autorité saisie a le devoir de procéder à un examen des circonstances concrètes (consid. 4.1).
En l’espèce, le Tribunal fédéral examine les arguments des parties et les motifs retenus par l’autorité précédente – relatifs à l’intérêt de l’enfant à conserver le nom de famille qu’il porte et la nationalité suisse, la possibilité de développer un lien socio-affectif, ainsi que l’intérêt purement pécuniaire – pour constater qu’il n’y a pas eu d’excès du pouvoir d’appréciation en considérant que l’intérêt prépondérant de l’enfant à conserver son lien de filiation commandait l’application du droit suisse (consid. 4.3).
Idem. Délai de l’action en désaveu intentée par l’enfant (art. 256c al. 2 CC). Il convient de préciser que l’application du droit suisse en vertu de l’article 69 al. 2 LDIP permet de préserver les intérêts concrets de l’enfant a l’égard de sa filiation, dès lors que celui-ci n’est pas déchu de la possibilité de désavouer son père juridique et conserve la possibilité d’introduire lui-même l’action en désaveu de paternité pendant toute sa minorité et encore pendant une année après avoir atteint la majorité (consid. 4.4).
Action en désaveu intentée par le mari de la mère (art. 256c al. 1 et al. 3 CC). Le mari doit intenter action en désaveu de paternité au plus tard un an après qu’il a connu la naissance et le fait qu’il n’est pas le père ou qu’un tiers a cohabité avec la mère à l’époque de la conception (délai relatif de péremption, qui ne peut être ni interrompu, ni suspendu). A titre subsidiaire, l’action peut être introduite après l’expiration du délai lorsque de justes motifs (notion qui doit être interprétée restrictivement) rendent le retard excusable. Il incombe au demandeur d’agir avec toute la célérité possible dès que la cause du retard a pris fin, en principe, au maximum dans les cinq semaines, sauf circonstances exceptionnelles (par ex. maladie ou une période de vacances) (consid. 5.1). L’incertitude concernant le lieu de domicile de l’enfant, et partant, le droit applicable à l’action en désaveu de paternité, peut constituer un juste motif, à la condition qu’une fois le motif disparu, l’action soit effectivement introduite sans retard ; ce que n’a pas fait le recourant en l’espèce (consid. 5.2).