TF 5A_545/2020 - ATF 148 III 245 (d) du 7 février 2022
Mariage; étranger; DIP; filiation; art. 20 al. 1 let. b, 32, 68, 69, 70 et 73 LDIP; 252 al. 1 CC; 8 al. 2 et 11 Cst.; 8 et 14 CEDH; 3 et 7 CDE
Transcription vs reconnaissance d’une naissance survenue à l’étranger en cas de maternité de substitution (art. 32, 68, 69 et 70 LDIP). L’arrêt porte sur la transcription dans les registres de l’état civil d’actes de naissance géorgien qui constatent le lien de filiation entre deux enfants jumeaux nés d’une mère de substitution (géorgienne, domiciliée en Géorgie) et leurs père (turc, domicilié à Zurich) et mère (turco-suisse, domiciliée à Zurich) d’intention, qui sont par ailleurs marié·e·s (faits ; consid. 3).
La transcription à l’état civil se fait aux conditions de l’art. 32 LDIP. Elle intervient lorsqu’une décision étrangère ou déclaration formatrice est reconnue dans l’ordre juridique suisse par l’autorité cantonale de surveillance (consid. 4.1). Lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de l’enregistrement d’une naissance survenue à l’étranger, la transcription de la naissance entraîne l’inscription de la personne concernée dans les registres de l’état civil. Dans le même temps, la transcription entraîne l’inscription des liens de filiation établis ex lege à la naissance ou par acte juridique, conformément au droit applicable. L’acte de naissance, qui constate uniquement un lien de filiation établi ex lege, se distingue d’une décision ou d’un autre acte juridique qui génèrent une situation juridique ou la modifie. En cas de filiation par la naissance (art. 66 à 70 LDIP), la simple transcription de liens de filiation étrangers ne relève pas de l’art. 70 LDIP, qui règle la reconnaissance de décisions étrangères. En revanche, lorsque l’inscription se fonde sur une décision, c’est sur celle-ci que se base une éventuelle inscription dans les registres suisses de l’état civil, et non sur l’extrait du registre de l’état civil. Pour les liens de filiation établis ex lege le droit applicable désigné par l’art. 68 LDIP est déterminant (consid. 4.2). En cas de maternité de substitution, les règles concernant la filiation par naissance s’appliquent (art. 70, resp. 68 et 69 LDIP) (consid. 4.3).
Le droit géorgien relatif à la maternité de substitution, comme les cas russe et ukrainien, prévoit que les père et mère d’intention sont automatiquement père et mère juridiques. En outre, l’absence de parentalité de la mère de substitution n’est pas établie par décision, mais ex lege, et la parentalité de la mère de substitution n’est pas évoquée dans les registres de l’état civil. Partant, la filiation de l’enfant à l’égard de la mère de substitution n’est pas régie par l’art. 70 LDIP, faute de décision au sens de cette disposition (consid. 5.2). En particulier, le contrat de maternité de substitution conclu en l’espèce ne saurait être qualifié de décision (consid. 5.3).
Filiation par naissance – droit applicable (art. 20 al. 1 let. b, 68 al. 1 et 69 al. 1 LDIP). L’établissement, la constatation et la contestation de la filiation sont régis par le droit de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant (art. 68 al. 1 LDIP). On entend par résidence habituelle le centre des relations personnelles (voir art. 20 al. 1 let. b LDIP et les critères issus des conventions de La Haye). En général, la résidence habituelle de l’enfant coïncide avec le centre de vie du père ou de la mère. S’agissant de nouveau-né·e·s, les liens familiaux avec le père ou la mère qui s’occupe de l’enfant sont des indices décisifs. Les liens de la mère avec un pays englobent en principe l’enfant. La date de la naissance est le moment déterminant (art. 69 al. 1 LDIP) (consid. 6.1). Une présence de plusieurs mois, en principe six mois, crée une résidence habituelle. Celle-ci ne résulte pas seulement des circonstances de fait reconnaissables de l’extérieur (durée du séjour et relations créées), mais aussi de la durée probable du séjour et de l’intégration à laquelle on peut s’attendre de ce fait. Lorsque, comme en l’espèce, les père et mère d’intention s’occupent dès la naissance des deux enfants et ont prévu de rentrer à brève échéance dans l’Etat de leur propre centre de vie, la résidence habituelle des enfants nés d’une mère de substitution se trouve dans cet Etat, i.c. en Suisse (consid. 6.2). Une autre solution n’est pas envisageable de lege lata (consid. 6.3 in extenso).
Lien de filiation maternel (art. 252 al. 1 CC). Lorsque, comme en l’espèce, le droit suisse est applicable, le principe mater semper certa est trouve application, si bien que la femme ayant donné naissance (mère de substitution) est la mère juridique (art. 252 al. 1 CC) (consid. 6.4).
Lien de filiation paternel (art. 73 LDIP). La reconnaissance d’un·e enfant intervenue à l’étranger est régie, en Suisse, par l’art. 73 LDIP (consid. 7.1). In casu, l’instance précédente a vu dans le contrat de maternité de substitution une reconnaissance des enfants par le père d’intention génétique valable selon le droit suisse. Ce point n’est pas remis en cause devant le Tribunal fédéral (consid. 7.3). De lege lata, il n’est en outre pas possible d’admettre une « reconnaissance par la mère d’intention » (consid. 7.4 in extenso).
Conformité à la Constitution fédérale (art. 8 al. 2 et 11 Cst.) et aux conventions internationales (art. 8 et 14 CEDH ; art. 3 et 7 CDE). Selon la jurisprudence de la CourEDH relative à l’art. 8 CEDH, la mère d’intention doit avoir une possibilité d’obtenir la parentalité juridique, lorsque l’enfant a été conçu·e avec le sperme du père d’intention et les ovules d’une donneuse, et porté·e par une mère porteuse. Il n’est toutefois pas nécessaire que la mère d’intention soit considérée ab initio comme mère juridique, mais il suffit qu’elle puisse, comme le père d’intention génétique, obtenir ce statut ultérieurement par d’autres moyens, comme l’adoption de l’enfant, pour autant que l’intérêt supérieur de l’enfant soit préservé et que la procédure soit effective et rapide. Il en va de même en ce qui concerne la reconnaissance du lien de parentalité entre l’enfant et sa mère d’intention génétique (consid. 8.1). La présente espèce se distingue en outre des ATF 141 III 312, 328 (consid. 8.2). In casu, il n’y a pas de violation de l’interdiction de la discrimination (art. 8 al. 2 Cst. ; art. 14 cum 8 CEDH) (consid. 8.3 et 8.4). Le principe mater semper certa est n’est en tant que tel pas contraire à la CEDH (consid. 8.4). Il n’y a en l’espèce pas de violation de la CEDH et l’intérêt et les droits des enfants sont suffisamment garantis (art. 11 Cst. ; art. 3 et 7 CDE) (consid. 8.5 et 8.6).
De lege ferenda. Au surplus, il revient à l’autorité législative de régler la divergence entre parentalité génétique, biologique et sociale, ce que le Tribunal fédéral a déjà souligné (voir ég. le rapport du Conseil fédéral du 17 décembre 2021 sur la nécessité de réviser le droit de l’établissement de la filiation – postulat 18.3714) (consid. 8.7).