ATF 150 III 34 - TF 5A_391/2021 (d) du 8 juin 2023
Droit des personnes; étranger; DIP; procédure; art. 8 CEDH; 10 al. 2, 13, 35 al. 1 Cst.; 26 ss, 32, 37 ss, 39, 40, 40a LDIP; 76 al. 2 LTF; 8 let. d, 90 al. 4 OEC; 30b, 39 et 45 al. 3 CC
Procédure – qualité de partie des autorités fédérales. L’Office fédéral de la justice (OFJ), agissant au nom du Département fédéral de justice et police (DFJP), est autorisé à utiliser les voies de recours cantonales contre les décisions des offices de l’état civil et de leurs autorités de surveillance, mais également à former un recours devant le Tribunal fédéral (art. 45 al. 3 CC, 90 al. 4 OEC et 76 al. 2 LTF), même s’il n’a pas été associé aux procédures cantonales (consid. 1.2).
Reconnaissance (art. 26 ss LDIP) et transcription (art. 32 LDIP) d’un enregistrement de changement de sexe à l’état civil d’un pays étranger (art. 40a LDIP) – principes généraux. S’il est valable dans l’état de résidence ou d’origine de la personne requérante, le changement de sexe effectué à l’étranger est reconnu en Suisse et inscrit dans les registres de l’état civil selon les principes suisses sur la tenue des registres (art. 39 et 40 LDIP par renvoi de 40a LDIP) (consid. 3.1.1). A noter toutefois que l’art. 40a LDIP, relatif au sexe des personnes, n’est applicable qu’aux procédures pendantes ou introduites à partir du 1er janvier 2022, soit à l’entrée en vigueur – sans réglementation transitoire – de l’art. 40a LDIP (consid. 3.1.2).
Avant la nouvelle loi, l’application par analogie de l’art. 39 LDIP était déjà préconisée pour la reconnaissance de changements de sexe intervenus à l’étranger (consid. 3.1.3).
Dans un cas comme dans l’autre, les conditions des art. 32, 26 al. 1 let. a, 27 et 40 LDIP demeurent applicables. Ce qui signifie que les règles de compétence des autorités étrangères doivent être respectées, que l’ordre public suisse est réservé et que les principes suisses sur la tenue des registres doivent être respectés (consid. 3.1.3).
La question du changement de sexe a déjà été traitée par la jurisprudence, mais celle de l’inscription d’un troisième sexe ou la suppression de l’indication n’avait jusqu’alors pas été traitée par les autorités fédérales ou cantonales (consid. 3.3.1).
Idem – compatibilité de l’inscription avec les principes suisses relatifs à la tenue des registres (art. 40 LDIP). La réserve de l’application des principes suisses sur la tenue des registres pour toute inscription dans le registre d’état civil suisse repose sur un objectif d’uniformité. Les corrections apportées par les exigences sur la tenue du registre doivent être définies par le but de l’inscription, celle-ci devant se rapporter aux éléments de l’état civil tels qu’ils résultent de la loi (consid. 3.4.1).
En raison de l’importance qu’il revêt en matière de parentalité, pour les règles sur l’établissement des documents suisses d’identité ou pour le service militaire, bien qu’il ne soit pas expressément énoncé dans la liste non-exhaustive des éléments de l’état civil de l’art. 39 al. 2 CC, le sexe – au demeurant mentionné à l’art. 8 let. d OEC – relève, tout comme le nom ou le statut juridique d’une personne, des éléments de l’état civil. Le but de l’inscription du sexe au registre ne permet donc ni l’inscription d’un troisième sexe ni la possibilité de renoncer à une inscription (consid. 3.4.2).
L’introduction de l’art. 40a LDIP n’a rien changé à cette situation juridique, puisque la loi qui l’a introduit n’a pas envisagé la reconnaissance d’un troisième sexe ou la renonciation de l’indication sur le plan international ou interne (art. 30b CC, introduit par la même loi que l’art. 40a LDIP). De la même manière que tous les changements de nom provenant de l’étranger ne sont pas enregistrés, une modification de l’indication du sexe effectuée à l’étranger doit être compatible avec les deux catégories admises en Suisse pour pouvoir être enregistrée (consid. 3.4.3), une suppression pure et simple étant aussi inadmissible (consid. 3.4.6). A noter que la question des catégories de sexes est actuellement traitée par le pouvoir législatif qui ne souhaite par ailleurs pas modifier la pratique avant que les procédures législatives soient terminées (consid. 3.4.4). L’art. 40 en relation avec l’art. 40a LDIP ne souffre donc pas d’une lacune qui devrait être comblée par le pouvoir judiciaire (consid. 3.4.6).
Sans préciser les contours de cette assertion, le Tribunal fédéral laisse sous-entendre qu’il convient de distinguer les personnes de nationalité suisse déjà inscrites au registre d’état civil suisse des personnes étrangères à inscrire nouvellement dans ledit registre (consid. 3.4.5).
Idem – droit au respect de l’identité et à l’autodétermination sexuelle (art. 8 CEDH, 10 al. 2 et 13 Cst.). Comparaison de différentes pratiques européennes (consid. 3.6). La CourEDH n’a pas retenu une violation de l’article 8 CEDH de la pratique française n’autorisant pas la mention d’un sexe autre que le sexe masculin ou féminin dans l’état civil français. En l’occurrence, au vu de la jurisprudence de la CourEDH, du maintien du modèle binaire voulu par le législateur suisse lors de l’introduction de l’art. 40a LDIP et de la modification de l’art. 30b CC et des procédures législatives actuellement en cours sur ce sujet, le Tribunal fédéral n’a pas jugé incompatible avec l’art. 8 CEDH de réserver au pouvoir législatif le soin d’effectuer la pesée des intérêts en présence (consid. 3.6.5 in fine).
Le Tribunal fédéral n’a pas tranché la question de savoir si la garantie des droits fondamentaux au sens de l’art. 35 al. 1 Cst. impose à l’Etat d’offrir la possibilité d’opter pour une autre alternative aux personnes qui, sur la base d’une preuve médicale d’une variante du développement sexuel, ne peuvent pas s’identifier au système binaire (consid. 3.7.2).