TF 5A_178/2022 (f) du 4 juillet 2023
Mariage; filiation; art. 252 al. 2, 255 al. 1, 256 al. 1, 256c al. 1 et 3 CC
Désaveu de paternité – rappel de principes. Le lien de filiation père-enfant peut notamment découler de la présomption de paternité de l’homme marié à la mère (art. 255 CC). Il peut être attaqué à certaines conditions restrictives, notamment en matière de délais. L’action en désaveu de paternité doit effectivement intervenir dans un délai relatif d’un an après la connaissance d’absence de lien biologique, mais au plus tard dans un délai absolu de cinq ans après la naissance de l’enfant (art. 256c al. 1 CC). Bien que ces délais soient péremptoires, ils peuvent être restitués – de manière illimitée dans le temps – pour de justes motifs (art. 256c al. 3 CC), lesquels doivent être invoqués sans retard dès que la cause du non-respect du délai a pris fin. Ces justes motifs, non précisés par la loi, doivent être interprétés strictement et peuvent être de nature objective ou subjective (consid. 3.1).
Puisque « nul n’est censé ignorer la loi », la méconnaissance des règles susmentionnées ne constitue pas un juste motif autorisant la restitution du délai (consid. 3.3.1).
Idem – intérêts de l’enfant. Les intérêts de l’enfant au maintien ou à la suppression du lien de filiation avec le père juridique enregistré peuvent être pris en compte dans l’application de l’art. 256c al. 3 CC, par exemple lorsque les circonstances ne suffisent pas à fonder un juste motif (consid. 3.3.2).
Doivent être mis en balance différents intérêts de l’enfant tels que la nécessité de ne pas être exposé·e trop longtemps à une remise en question du lien paternel, le droit de connaître son ascendance, le maintien du lien socio-psychologique avec le père juridique et/ou le reste de la fratrie, le risque de rester sans père juridique, la perte du droit à l’entretien ou la perte des droits successoraux, étant précisé qu’on ne saurait, par principe, accorder un poids plus grand à la vérité biologique qu’à l’intérêt de l’enfant à conserver une filiation juridique (consid. 3.3.4).
Les tribunaux bénéficient d’un large pouvoir d’appréciation (consid. 3.3.4) que le Tribunal fédéral revoit avec retenue (consid. 3.1).
In casu, il a été admis que, nonobstant les risques qu’aucune paternité juridique ne soit établie à terme pour l’enfant qui ne pourra probablement jamais entretenir de relation satisfaisante avec son géniteur ou obtenir de lui un soutien financier, il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant que le lien juridique soit maintenu. Il était effectivement plus décisif qu’elle soit née près de huit ans après la rupture de la vie commune entre sa mère et le père juridique (toujours marié·es), qu’aucun lien socio-psychologique existe entre elle et le père juridique, qu’elle sache déjà qu’il est le père de ses frères, mais pas le sien, et n’en souffre pas et qu’il serait plus destructeur d’avoir un père juridique qui ne soit pas son père biologique et qui ne tisse aucun lien affectif avec elle (consid. 3.3.4).