TF 1C_653/2022 - ATF 150 II 465 (d) du 3 juin 2024
Mariage; violences conjugales; art. 1 al. 1, 2 let. d et e, 13 al. 1, 14 al. 1 et 19 ss LAVI; 181 CP
Qualité de victime au sens de l’art. 1 al. 1 LAVI – rappel de principes. Les exigences relatives à la preuve de la qualité de victime varient en fonction du moment ainsi que du type et de l’étendue de l’aide sollicitée. Un droit à l’indemnisation et à la réparation morale au sens de l’art. 2 let. d et e, et des art. 19 ss LAVI n’existe que si une infraction est établie ; en l’absence de procédure pénale pendante, l’infraction doit être prouvée sur la base de la vraisemblance prépondérante. En matière d’aide immédiate, le degré de preuve est la simple vraisemblance en raison du caractère urgent de telles aides. Une infraction est rendue vraisemblable lorsque des éléments objectifs appuient une certaine probabilité de son occurrence, même lorsque l’autorité compte encore sur la possibilité qu’elle n’ait pas eu lieu (consid. 4.1). En cas de doute, une prestation urgente d’aide aux victimes doit être fournie. C’est d’autant plus vrai pour les personnes victimes d’un préjudice exclusivement psychique qui doit être constaté dans certains cas par un examen psychiatrique minutieux. L’approche de la loi ne doit pas conduire à poser des exigences excessives en ce qui concerne la preuve de l’intensité suffisante de l’atteinte ou la description des effets individuels et concrets du comportement coercitif (consid. 4.3.1).
La qualité de victime en tant que condition d’octroi de l’aide exclut des gradations progressives de la gravité de l’atteinte en fonction du type et de l’ampleur de l’aide. La question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure le recours à une aide spécifique, telle qu’un hébergement d’urgence, est approprié doit être examinée lors de l’appréciation des conditions d’octroi de l’aide immédiate (consid. 4.4). Le lien de causalité (naturelle et adéquate) est admis même si l’infraction n’est pas la seule cause de l’atteinte à l’intégrité, tant qu’il ne peut pas être écarté à tout le moins à titre de cause partielle. Une éventuelle situation (familiale) pesante ayant un impact sur l’intégrité psychique pourrait par exemple être préexistante (consid. 5.2). Dans le cadre de l’aide immédiate, le degré de preuve de la vraisemblance s’applique également à l’existence du lien de causalité (consid. 5.4).
Contrainte (art. 181 CP) et atteinte à l’intégrité psychique – rappel de principes et précisions. Une contrainte au sens de l’art. 181 CP est une infraction susceptible de porter directement atteinte à l’intégrité psychique d’une personne concernée. L’atteinte doit être d’une certaine intensité. Toute atteinte mineure au bien-être psychique ne suffit pas ; des atteintes psychiques de courte durée, ne dépassant pas le moment de l’acte, ne permettent pas de fonder la qualité de victime. Ce n’est pas la gravité de l’infraction qui est déterminante, mais le degré d’implication de la personne lésée (consid. 4.2). In casu, il existe plusieurs indices (traitement psychologique et incapacité de travail), et donc des éléments suffisants, qui permettent de conclure à une atteinte non négligeable à l’intégrité psychique de la recourante (consid. 4.3.2).
Les actes de contrainte répétés et systématiques sous forme de menaces de suicide sur une certaine période sont – du moins dans leur interaction – tout à fait susceptibles d’entraîner une atteinte non négligeable à l’intégrité psychique justifiant une demande d’aide aux victimes (consid. 4.3.3). Ce n’est pas parce que la personne concernée a finalement réussi à imposer son souhait de séparation, nonobstant les menaces de suicide la contraignant dans sa liberté, que l’on peut en déduire que l’atteinte à l’intégrité n’était pas suffisamment grave (consid. 4.3.4). Les actes de contrainte doivent être pris en compte ensemble, dans une considération globale (consid. 5.3).
Aide immédiate (art. 13 al. 1 et 14 al. 1 LAVI) – logement d’urgence. Rappel de la législation (consid. 6.1). L’aide immédiate relève de mesures de premiers secours. Elle sert à couvrir les besoins les plus urgents résultant d’une infraction. Elle doit toujours être fournie lorsque la situation de la victime, directement provoquée par l’infraction, exige une mesure qui ne peut être différée, tant du point de vue matériel que temporel (consid. 6.2). Un hébergement d’urgence peut être nécessaire notamment en cas de délits relationnels. Le droit minimal à un tel logement dans le cadre de l’aide immédiate est de 35 jours selon les recommandations de la CSOL-LAVI (consid. 6.3). Le séjour en hébergement d’urgence doit relever d’une aide proportionnée (nécessaire, appropriée et adéquate) par rapport à d’autres mesures. Les conditions d’octroi doivent être rendues vraisemblables (consid. 6.4). Dans le contexte de contraintes répétées, un séjour dans un logement d’urgence est approprié pour assurer ou rétablir l’intégrité psychique de la personne concernée, par la création d’une distance spatiale (consid. 6.5).