Analyse de l'arrêt ATF 150 III 153 - TF 5A_176/2023 (d)
25 avril 2024
L’amélioration de la situation financière du parent gardien comme motif de modification de la contribution de prise en charge fixée dans une convention de divorce
I. Objet de l’arrêt
Dans cet arrêt destiné à la publication, le Tribunal fédéral examine dans quelle mesure l’amélioration de la situation financière du parent gardien peut entraîner une modification, au sens des art. 134 al. 2 et 286 al. 2 CC, de la contribution de prise en charge fixée par des parties dans le cadre d’une convention de divorce ratifiée.
A cet égard, les juges fédéraux retiennent que, au vu de la conception et de la manière de calculer la contribution de prise en charge, l’amélioration de la situation financière du parent gardien se répercute directement sur le montant de la contribution due, de sorte qu’une modification de l’obligation d’entretien ne peut être exclue par principe dans ce cas.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
B. (né en 1980) et C. (née en 1986) sont les parents de D., née en 2016. Par jugement de divorce du 20 septembre 2017, le tribunal de district de Dielsdorf a ratifié la convention de divorce conclue par les époux, laquelle fixait notamment l’entretien de D., a confié la garde de l’enfant à sa mère et a réglé les modalités du droit de visite entre B. et sa fille.
Le 27 août 2020, B. a saisi le tribunal d’une demande tendant à réduire l’entretien qu’il verse en faveur de sa fille à compter du 1er septembre 2020, demande qui a été rejetée.
B. a recouru contre cette décision auprès de la Cour suprême du canton de Zurich, puis auprès du Tribunal fédéral.
B. Le droit
3.
3.1
Le litige porte uniquement sur le montant de la contribution d’entretien que B. doit verser à sa fille D.
Le Tribunal fédéral rappelle en premier lieu que les conditions et la compétence matérielle pour la modification d’un jugement de divorce sont régies par les art. 124e al. 2, 129 et 134 CC, conformément à l’art. 284 al. 1 CPC.
L’examen d’une éventuelle adaptation de l’entretien de l’enfant fixé dans un jugement de divorce en cas de modification importante de la situation se fait pour sa part à l’aune de l’art. 286 al. 2 CC, par renvoi de l’art. 134 al. 2 CC1.
Les juges fédéraux constatent ainsi que le recourant a reproché à juste titre à la Cour suprême du canton de Zurich d’avoir violé le droit fédéral en examinant l’adaptation litigieuse des contributions d’entretien pour enfant sur la base de l’art. 129 CC.
3.2
Selon l’art. 286 al. 2 CC, si la situation change notablement, le juge modifie ou supprime la contribution d’entretien à la demande de l’un des parents ou de l’enfant. Cette disposition suppose que la situation se soit modifiée ultérieurement de manière importante et durable.
Le Tribunal fédéral rappelle qu’une action en modification vise uniquement à adapter un jugement définitif – erroné ou non – à des circonstances qui ont changé2. Toutes les circonstances qui ont un impact sur le calcul de la contribution d’entretien entrent en ligne de compte pour évaluer l’existence d’une modification3. Sont notamment visés les changements dans l’activité professionnelle (prise ou au contraire perte d’emploi) ou la situation de logement de l’un des parents (remise en ménage avec un nouveau partenaire par exemple)4.
En outre, une nouvelle fixation de l’obligation d’entretien ne se justifie en principe que si le changement intervenu risque de créer un déséquilibre inacceptable entre les personnes impliquées au regard du jugement de divorce initial5. Le Tribunal fédéral précise toutefois que, s’agissant de la contribution de prise en charge de l’enfant, ces considérations ne revêtent aucune pertinence compte tenu de la conception de ce type d’entretien (cf. c. 5.3 ci-dessous).
3.3
Une modification de la contribution d’entretien est en principe exclue lorsque les parties, en concluant une convention d’entretien, règlent une situation de fait incertaine (caput controversum). Dans ce cas, il manque une valeur de référence à l’aune de laquelle on pourrait mesurer l’importance d’un éventuel changement, raison pour laquelle il faut en principe nier tout changement de situation6.
Dans le cas d’espèce, l’entretien de l’enfant D. a été fixé de la manière suivante dans le cadre du jugement de divorce, allocations familiales en sus :
- dès l’entrée en force du jugement de divorce jusqu’au 31 mars 2026 : CHF 2’365.-, dont CHF 1’445.- d’entretien pour la prise en charge ;
- du 1er avril 2026 jusqu’au 31 mars 2032 : CHF 1’480.-, dont CHF 360.- d’entretien pour la prise en charge ;
- à partir du 1er avril 2032 : CHF 1’070.- (entretien exclusivement en espèces).
Le Tribunal fédéral constate que la convention de divorce signée par les parties précise en outre les éléments financiers (revenus, charges, éléments de fortune) sur lesquels elles se sont basées pour fixer ces différents paliers.
La Cour suprême n’ayant pas constaté de manière expresse ces faits – pourtant importants pour l’issue de la procédure s’agissant de la contribution de prise en charge – , le Tribunal fédéral les complète d’office (art. 105 al. 2 LTF).
Dans ce contexte, les juges fédéraux estiment qu’on ne peut pas dire en l’espèce qu’il manque une valeur de référence à l’aune de laquelle le caractère significatif de la modification invoquée pourrait être mesurée.
4.
4.1
Le recourant reproche à la Cour suprême de retenir, de manière contraire au dossier de la cause, que les juges de première instance auraient nié l’existence d’un motif de modification dans le cas d’espèce.
Selon B., le tribunal de district a tenu compte de deux motifs de modification, soit le revenu supplémentaire réalisé par la mère de l’enfant et le fait que celle-ci a emménagé avec son (nouveau) partenaire.
Le recourant invoque un troisième motif de modification dont le tribunal de district n’a pas tenu compte, à savoir la grossesse de la mère de l’enfant et la naissance d’une autre fille, dont le père est le nouveau partenaire de C.
Le Tribunal fédéral ne s’attarde pas sur les questions de l’emménagement de C. avec son nouveau partenaire (c. 4.3) et de la naissance d’un nouvel enfant (c. 4.4), compte tenu de l’issue de la procédure (cf. c. 5 ci-dessous) d’une part, et du fait que le recourant n’a pas invoqué une partie de ces griefs devant l’instance précédente d’autre part.
4.2
S’agissant de l’augmentation des revenus de la mère de l’enfant, le Tribunal fédéral constate que, contrairement à ce que le recourant invoque, la Cour suprême l’a bel et bien prise en compte. Elle a toutefois estimé et ce, à l’instar des juges de première instance, que cette augmentation ne constituait pas un motif de modification de la contribution d’entretien due à D.
Dans la mesure où B. n’est pas surchargé par l’obligation d’entretien, les juges de première instance ont en effet considéré que l’amélioration de la situation financière de C., soit le parent qui s’occupe de D., ne devait pas entraîner de réduction des contributions d’entretien de l’enfant, de sorte que les conditions de l’art. 286 al. 2 CC ne pouvaient être considérées comme remplies en l’espèce.
La Cour suprême n’a ainsi pas procédé à une constatation arbitraire des circonstances de fait déterminantes en s’écartant simplement de l’opinion défendue par le recourant7.
5.
5.1
En ce qui concerne la modification du jugement de divorce, la Cour suprême, se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, a en outre considéré que l’amélioration de la situation financière du parent qui s’occupe principalement de l’enfant, suite à l’augmentation du revenu de son activité professionnelle, devait profiter à l’enfant, pour autant que le parent débiteur de l’entretien n’était pas soumis à une charge excessivement lourde.
Selon la Cour suprême, la jurisprudence en question a certes été rendue sous l’empire de l’ancien droit, mais elle demeure valable sans restriction après l’introduction de l’entretien pour la prise en charge des enfants. Une amélioration de la situation financière du parent gardien devrait profiter à l’enfant, que l’entretien de l’enfant couvre les coûts directs (entretien en espèces) ou les coûts indirects (entretien de prise en charge). En effet, l’enfant profite davantage de la disparition d’un déficit (lié à la prise en charge) que de l’augmentation d’un excédent préexistant.
Etant donné que la jurisprudence citée est également liée à l’amélioration de la situation économique du parent qui s’occupe principalement de l’enfant, le fait que l’entretien pour la prise en charge revienne économiquement à ce dernier ne change rien. Indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une contribution d’entretien en espèces ou d’une contribution pour la prise en charge des enfants, dans la plupart des cas, les fonds sont de toute façon gérés par le parent qui s’occupe des enfants.
Comme le recourant continue à réaliser, selon ses propres calculs, un excédent de CHF 1’430.-, soit 60 % de plus que celui de l’intimée de CHF 885.-, il ne subit pas de charge excessive. La Cour suprême estime donc qu’une modification de son obligation d’entretien n’entre pas en ligne de compte.
5.2
Le recourant fait remarquer pour sa part que, selon la solution de la Cour suprême, l’enfant recevrait la contribution de prise en charge, qui se libérerait alors au sens d’un excédent, en plus de ses besoins. La contribution de prise en charge a toutefois été accordée à l’origine en raison d’un déficit lié à la garde de l’enfant et revient économiquement au parent qui s’occupe de la prise en charge de l’enfant. Cette part d’entretien n’est compensée ni par un déficit ni par une position de besoin de l’enfant. L’enfant bénéficierait donc manifestement d’une prestation d’entretien supérieure à celle qui lui est due.
L’intimée se rallie de son côté à l’instance précédente et souligne en outre qu’au moment de l’introduction de la demande de modification, il n’y avait absolument pas de déséquilibre dans la charge financière des parents. De plus, la situation se serait encore modifiée depuis lors en faveur du recourant. La contribution de prise en charge ne serait rien d’autre qu’un poste de besoin de la contribution d’entretien pour l’enfant, qui ne devrait être adapté que s’il existe un motif de modification, ce qui n’est pas le cas ici.
Une prise en compte immédiate d’un gain supplémentaire aurait pour seule conséquence que seul le parent débiteur de la contribution d’entretien profiterait d’une amélioration de la situation économique du parent gardien, jusqu’à concurrence de la contribution de prise en charge. En revanche, le parent gardien et l’enfant seraient contraints de rester pauvres et n’auraient aucune perspective d’amélioration de leur situation. Ce résultat serait d’autant plus choquant que l’amélioration de la situation résulterait uniquement d’une prestation surobligatoire du parent gardien.
5.3
5.3.1
Aux termes de l’art. 285 al. 2 CC, la contribution de prise en charge doit garantir la meilleure prise en charge possible de l’enfant. Elle couvre les coûts (indirects) qu’un parent subit du fait qu’il est empêché de subvenir à ses besoins en travaillant pour s’occuper personnellement de l’enfant.
Bien que l’entretien pour la prise en charge soit formellement conçu comme un droit de l’enfant, il revient donc économiquement au parent qui prend en charge l’enfant8. Cette circonstance s’oppose à ce qu’une contribution d’entretien libérée suite à l’augmentation du revenu de ce parent soit attribuée à l’enfant dans le contexte de la modification. Ce procédé impliquerait une réattribution économique du montant correspondant, ce qui ne se justifie pas.
Il en va autrement de l’entretien en espèces qui couvre les frais (directs) pour l’enfant, c’est-à-dire toutes les rémunérations à verser à des tiers pour les soins, l’éducation et la formation nécessaires de l’enfant9. Lors de sa fixation, il est possible de tenir compte de manière appropriée des particularités du cas d’espèce10, ce qui laisse également la place à une amélioration de la position de l’enfant adaptée aux circonstances.
5.3.2
Ensuite, la contribution de prise en charge est calculée selon la méthode des frais de subsistance11. Selon cette méthode, c’est la différence entre les besoins de base du droit de la famille et le revenu net réalisé (ou hypothétique) du parent gardien qui est déterminante12. Une augmentation du revenu de ce parent se répercute donc directement sur le montant de la contribution due. Si tel est le cas et si la modification du revenu intervenue est d’une certaine importance, il n’y a donc aucune raison de maintenir malgré tout la contribution à son niveau initial. Au niveau de la détermination du revenu, il n’est en principe pas important de savoir s’il existe une activité (« surobligatoire ») dépassant le modèle des degrés scolaires13, comme le fait valoir l’intimée en l’espèce, tout cela, encore une fois, contrairement à l’entretien en espèces, pour la fixation duquel les circonstances du cas d’espèce ont un plus grand poids, selon ce qui a été exposé.
5.3.3
Dans la mesure des besoins de base du droit de la famille, l’entretien pour la prise en charge des enfants compense les inconvénients que subit le parent qui s’occupe des enfants14. Si, en raison d’une augmentation de son revenu, ce parent est en mesure de couvrir lui-même la totalité ou une part nettement plus importante de ses besoins de base, il n’y a plus de raison de (continuer à) lui verser une contribution d’entretien pour la prise en charge de l’enfant (cf. consid. 5.3.2 ci-dessus), raison pour laquelle une modification de l’obligation d’entretien ne doit pas être exclue par principe dans ce cas.
Contrairement à ce que retient la Cour suprême, il ne se justifie pas non plus, d’un point de vue économique, de faire profiter sans autre l’enfant de la contribution d’entretien libérée par l’augmentation du revenu du parent gardien : même si le droit à l’entretien de prise en charge est un droit de l’enfant, celui-ci revient économiquement au parent qui s’occupe de l’enfant (c. 5.3.1 ci-dessus).
Comme l’objecte à juste titre le recourant, cet élément de la contribution d’entretien ne serait pas confronté à un poste de besoin en cas de réattribution à l’enfant. Une amélioration non spécifique de la situation financière de l’enfant, telle que l’envisage la Cour suprême (cf. c. 5.1 ci-dessus), ne saurait justifier cette démarche.
Dans cette situation, il convient plutôt d’examiner, en tenant compte de toutes les circonstances déterminantes (cf. c. 4.3 ci-dessus), comment le changement intervenu se répercute sur l’obligation d’entretien. Par conséquent, la possibilité de modifier l’obligation d’entretien ne doit pas être limitée. Une adaptation du titre d’entretien doit au contraire avoir lieu dans la mesure où le changement intervenu est durable et important. En ce qui concerne l’entretien pour la prise en charge de l’enfant, il s’avère, au vu de ce qui précède, qu’une prise en compte globale plus étendue n’est pas admissible (cf. aussi c. 3.2 ci-dessus). Le recours est par conséquent fondé.
5.3.4
De l’avis de la Cour suprême, la demande de modification devrait être rejetée uniquement en raison du fait que le recourant n’est pas soumis à une charge d’entretien excessive. Elle n’a donc pas examiné les conditions d’une modification du jugement de divorce et n’a pas clarifié les circonstances déterminantes.
Comme il ressort du jugement de divorce du 20 septembre 2017, la contribution d’entretien pour l’enfant accordée à l’époque, dont le recourant demande la modification, se compose d’une contribution en espèces et d’une contribution de prise en charge (cf. consid. 3.3 ci-dessus).
Dans la mesure où l’intimée, en raison de son revenu supplémentaire, est désormais en mesure de couvrir durablement son minimum vital au sens du droit de la famille, ou du moins dans une mesure nettement plus importante qu’auparavant, il faut par conséquent considérer qu’il y a eu une modification importante des circonstances à cet égard. Il ne ressort toutefois pas de la décision attaquée si les parties ont déjà tenu compte, le cas échéant, des changements intervenus dans la convention de divorce.
5.4
L’affaire doit donc être renvoyée à la Cour suprême, le recours étant admis, conformément à la demande principale du recourant, afin que les faits soient clarifiés et qu’une nouvelle décision soit prise sur l’adaptation de la contribution d’entretien due à l’enfant D. (art. 107 al. 2 LTF). Un nouveau calcul de la contribution d’entretien, qui devrait avoir lieu comme indiqué ci-dessus si l’intimée parvenait désormais à couvrir entièrement ou dans une mesure nettement plus importante qu’auparavant son minimum vital du droit de la famille, devrait être effectué en appliquant la méthode concrète en deux étapes avec répartition de l’excédent15 et en tenant compte de tous les paramètres déterminants (cf. ég. c. 4.3 ci-dessus).
A la lumière de ce qui précède, il n’est plus nécessaire d’examiner les autres arguments du recourant, notamment le grief de la violation du droit d’être entendu. La Cour suprême devra en tenir compte si nécessaire dans la nouvelle décision à rendre. Il en va de même pour les explications de l’intimée concernant sa situation de vie, les conditions de modification ainsi qu’un prétendu comportement abusif du recourant.
III. Analyse
L’art. 286 al. 2 CC concerne les demandes en modification des contributions d’entretien de l’enfant en cas de changement notable et durable des circonstances.
Le point de départ est par conséquent les circonstances sur lesquelles le jugement ou la convention initiale étaient fondés. Ces circonstances sont comparées avec les circonstances actuelles et le juge doit examiner si, et dans quelle mesure, le changement est bien significatif, durable et imprévisible16.
Les conditions préalables à l’application de l’art. 286 al. 2 CC sont un changement substantiel des circonstances, dans la mesure où elles sont pertinentes pour la détermination du montant de l’entretien de l’enfant et qu’elles ne constituent pas des causes ordinaires d’extinction de la contribution selon l’art. 277 CC17.
Le changement ne doit pas avoir été prévisible, une condition qu’il faut appréhender assez largement. Un changement prévisible de circonstances mais qui n’a pas été pris en compte au moment de la fixation initiale de la contribution d’entretien suffit18.
Les motifs de modification qui peuvent entrer en ligne de compte sont assez variés. Il peut s’agir d’événements imprévisibles, comme la maladie ou l’invalidité, ou de circonstances économiques, comme le chômage du parent débiteur ou une baisse de ses revenus sans qu’il puisse avoir une quelconque influence là-dessus19.
Dans plusieurs arrêts rendus avant l’entrée en vigueur du nouveau droit de l’entretien de l’enfant mineur-e, le TF avait jugé que, en règle générale, l’amélioration de la situation économique du parent gardien ne devait pas être prise en compte, sauf si l’équilibre de la répartition de l’entretien entre les parties était entièrement remis en question, dans la mesure où elle devait profiter et être attribuée à l’enfant20.
Dans cet arrêt 5A_176/2023, le Tribunal fédéral précise ainsi sa jurisprudence, en reconnaissant expressément, dans le contexte de la contribution de prise en charge, que l’amélioration de la situation financière du parent gardien est désormais un motif qui ouvre la voie à une action en modification fondée sur l’art. 286 al. 2 CC.
La contribution de prise en charge implique de garantir, économiquement parlant, que le parent qui l’assure puisse subvenir à ses propres besoins, tout en s’occupant de l’enfant21. Cette contribution vise uniquement à garantir que l’enfant bénéficie de la meilleure prise en charge possible22. Elle sert à répartir les effets de la prise en charge entre les deux parents, mais ne vise pas à rémunérer le parent qui s’occupe de l’enfant23. Les frais de subsistance ne doivent ainsi pas aller au-delà du montant nécessaire pour permettre financièrement au parent qui s’occupe de l’enfant de le faire24.
Lorsque les deux parents travaillent, le calcul de la contribution de prise en charge se fait sur la base du montant qui manque éventuellement au parent gardien pour couvrir ses frais de subsistance, après déduction de ses revenus25. Dans cette hypothèse, il s’agit de calculer la différence entre le salaire net que le parent gardien perçoit et le montant total de ses charges, déterminé conformément au minimum vital du droit de la famille si la situation financière le permet26. Si le parent gardien dispose des ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance, aucune contribution de prise en charge n’est en revanche due27.
A la lumière de ce qui précède, l’amélioration de la situation financière du parent gardien en raison d’un changement notable et durable de son taux d’activité qui n’avait pas été pris en compte au moment de la fixation initiale des contributions d’entretien devrait effectivement constituer un motif permettant de revoir le montant de la contribution de prise en charge et de l’adapter aux nouvelles circonstances.
Le but extrêmement étroit de la contribution de prise en charge de même que sa méthode de calcul soutiennent le raisonnement du Tribunal fédéral. Le rôle de la contribution de prise en charge n’est pas d’aboutir à un traitement paritaire des parents, mais uniquement de garantir la meilleure prise en charge possible à l’enfant. Dans la mesure où cette prise en charge est garantie et qu’elle n’est en particulier pas entravée par la reprise ou l’augmentation du taux d’activité du parent gardien postérieurement au jugement ou à la convention d’entretien, il apparaît légitime, en l’état du droit, de revoir la manière dont les ressources familiales ont été allouées.
Cela étant, les moyens éventuellement libérés du fait d’une baisse, voire d’une suppression de la contribution de prise en charge devraient, à notre sens, être réintégrés et pris en compte dans le calcul de la répartition de l’excédent entre les différents ayants-droit.
L’arrêt 5A_176/2023 ne précise à cet égard pas si la convention de divorce signée par les parties prévoyait une contribution à l’entretien en faveur de la mère de l’enfant.
En principe, lorsque les ressources disponibles suffisent tout juste à couvrir l’entretien de l’enfant, le ou la juge doit déterminer au moment du divorce si, après l’extinction de la contribution de prise en charge de l’enfant, l’époux·se débiteur·trice devra verser ou augmenter la contribution d’entretien due à son ex-conjoint·e, grâce aux ressources ainsi libérées28. Dans les situations litigieuses, le ou la juge du divorce est lié·e par les conclusions des parties en application du principe de disposition et de la maxime des débats applicables en matière de contributions d’entretien après le divorce, conformément aux art. 58 al. 1 et 277 al. 1 CPC, et ne pourra pas prendre en compte cet aspect s’il n’a pas fait l’objet d’une conclusion en ce sens29.
Dans l’élaboration de la convention sur les effets du divorce, les époux·ses – et leurs conseils – doivent ainsi tenir compte et porter une attention particulière à la relation entre la contribution de prise en charge et la contribution d’entretien après divorce lors de leur fixation initiale, étant donné les possibilités limitées prévues à l’art. 129 al. 3 CC pour modifier ultérieurement la seconde30. Le ou la juge du divorce ne peut en outre corriger cet aspect que si son résultat est inéquitable au sens de l’art. 279 al. 1 CPC. La jurisprudence du Tribunal fédéral est de surcroît très réticente en la matière31.
Nous précisons toutefois que le Tribunal fédéral n’est pas favorable au retour de l’élément concernant la prise en charge de l’enfant dans l’entretien entre ex-époux·ses à l’extinction de la contribution de prise en charge32.
Selon les juges fédéraux, la possibilité de maintenir un certain partage des tâches après la séparation ou le divorce ne repose plus sur la confiance dans la poursuite du mariage, mais sur celle dans la poursuite du modèle de répartition des tâches choisi d’un commun accord par les parent33. Le Tribunal fédéral semble s’appuyer sur ce nouveau critère de rattachement pour dénier un transfert d’une partie des fonds alloués à la contribution de prise en charge à l’entretien de l’ex-époux·se à l’extinction de la première.
Dans les situations où les moyens financiers ne suffisent pas à financer une contribution de prise en charge et à maintenir le niveau de vie des époux·ses, il apparaît cependant légitime, après l’extinction de la première, qu’une partie de l’entretien dédié à la prise en charge des enfants soit transféré dans l’entretien conjugal34. Le retour de cette part dans l’entretien du ou de la conjoint·e est en outre la seule manière d’assurer une compensation des lacunes de prévoyance professionnelle que le parent gardien divorcé a continué d’accumuler ensuite du divorce si une contribution d’entretien ne lui avait pas été allouée ou d’un montant peu élevé, ce poste n’étant pas pris en compte dans le cadre de la contribution de prise en charge.
Notes
- Arrêts du TF 5A_378/2021 du 7 septembre 2022, c. 3 ; 5A_880/2020 du 4 janvier 2022, c. 2.1. ↩
- ATF 137 III 604, c. 4.1.1 ; arrêt du TF 5A_645/2022 du 5 juillet 2023, c. 6.1.1. ↩
- Arrêt du TF 5A_874/2019 du 22 juin 2020, c. 3.2. ↩
- Arrêts du TF 5A_120/2021 du 11 février 2022, c. 5.3.1 ; 5D_183/2017 du 13 juin 2018, c. 4.1. ↩
- ATF 137 III 604, c. 4.1.1 ; arrêt du 5A_378/2021 du 7 septembre 2022, c. 3. ↩
- ATF 142 III 518, c. 2.6 ; arrêt du TF 5A_253/2016 du 24 novembre 2016, c. 4.2. ↩
- Arrêt du TF 5A_121/2022 du 26 octobre 2022, c. 5.1. ↩
- ATF 144 III 481, c. 4.3. ↩
- ATF 144 III 481, c. 4.3. ↩
- ATF 147 III 265, c. 7.3 ; arrêt du TF 5A_743/2017 du 22 mai 2019, c. 5.4.3. ↩
- ATF 144 III 481, c. 4.1. ↩
- Arrêts du TF 5A_378/2021 du 7 septembre 2022, c. 8.3.1 ; 5A_450/2020 du 4 janvier 2021, c. 4.3 ↩
- ATF 147 III 265, c. 7.1. ↩
- ATF 148 III 161, c. 4.3.1. ↩
- ATF 147 III 265, c. 7. ↩
- Arrêt du TF 5A_292/2009 du 2 juillet 2009, c. 2.1. ↩
- BSK ZGB I [2022]-Fountoulakis, CC 286 N 10. ↩
- ATF 131 III 189, c. 2.7.4 ; ATF 128 III 305, c. 5b. ↩
- ATF 134 III 337, c. 2.2 ; arrêt du TF 5A_662/2013 du 24 juin 2014, c. 3.3. ↩
- ATF 134 III 337, c. 2.2.2 ; arrêt du TF 5A_7/2016 du 15 juin 2016, c. 5.3. ↩
- Message du 29 novembre 2013 concernant la révision du code civil suisse (Entretien de l’enfant), FF 2014 511, p. 534 s. ; ATF 144 III 377, c. 7.1.2.2. Cf. ég. ATF 144 III 481, c. 4.1. ↩
- FF 2014 511, p. 536. ↩
- FF 2014 511, p. 536 ; ATF 144 III 377, c. 7.1.2.2. ↩
- ATF 144 III 377, c. 7.1.4. Cf. ég. Stoudmann Patrick, Le nouveau droit de l’entretien de l’enfant en pratique : Ce qui change et ce qui reste, in RMA 2016, p. 427-453, p. 432. ↩
- ATF 144 III 377, c. 7.1.4. ↩
- FF 2014 511, p. 556 s. ↩
- ATF 144 III 377, c. 7.1.4. ↩
- FF 2014 511, p. 538. ↩
- Arrêts du TF 5A_112/2020 du 28 mars 2022, c. 2.2 ; 5A_67/2020 du 10 août 2020, c. 3.3.1 ; 5A_368/2018 du 25 avril 2019, c. 4.3.3. ↩
- FF 2014 511, p. 538 ; Leuba Audrey/Meier Philippe/Papaux van Delden Marie-Laure, Droit du divorce, Conditions – effets – procédure, Berne 2021, N 712 ; Schweighauser Jonas, Kindesunterhalt – in welche Richtung geht die höchstrichterliche Praxis, Bermerkungen zum Entscheid des Bundesgerichts 5A_384/2018 vom 21. September 2018 aus der Sicht des Praktikers, in Jusletter du 17 décembre 2018, N 67 s. ; Stoudmann Patrick, La contribution de prise en charge, in Fountoulakis Christiana/Jungo Alexandra (édit.), Entretien de l’enfant et prévoyance professionnelle, 9e Symposium en droit de la famille 2017, Genève 2018, p. 83-123, p. 117. ↩
- Arrêts du TF 5A_74/2014 du 5 août 2014, c. 2 et 3 ; 5A_187/2013, du 4 octobre 2013, c. 5 et 6. ↩
- ATF 144 III 481, c. 4.8.2. ↩
- Schweighauser, Jusletter 2018, N 65. ↩
- Schweighauser, Jusletter 2018, N 65. ↩