Analyse de l’arrêt TF 5A_576/2024 (f)
24 septembre 2025
Le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre du droit aux relations personnelles du parent d’intention – respectivement du parent social – sur l’enfant de son ex-compagne
I. Objet de l’arrêt
La décision 5A_576/2025 porte sur les conditions relatives à l’admission d’un droit de visite en faveur d’un tiers selon l’art. 274a CC, plus précisément lorsque le tiers en question est l’ex-compagne de la mère de l’enfant. Cet arrêt distingue les notions de parent d’intention et de parent social de l’enfant, avant d’analyser les critères des circonstances exceptionnelles et de l’intérêt de l’enfant.
Le Tribunal fédéral s’est plus précisément penché sur les critères de l’art. 274a CC dans le cadre du recours de l’ex-compagne de la mère juridique de l’enfant.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
A. (1985) et B. (1986) qui se sont rencontrées en 2013 et ont commencé à vivre en concubinage quelques mois plus tard, ont décidé de recourir à la procréation médicalement assistée en 2014. Elles ont acquis des paillettes d’un donneur non anonyme auprès d’une société danoise. Le 3 avril 2015, A. a donné naissance à l’enfant C.
En décembre 2015, les concubines ont mis fin à leur relation de couple, mais ont décidé de continuer à vivre sous le même toit et de mentir quant à la nature amoureuse de leur relation, afin de permettre l’adoption de C. par B. Pendant l’été 2017, B. a informé A. qu’elle souhaitait avoir un enfant et sollicité son accord pour recourir aux paillettes du même donneur que pour C. A. a consenti à cette utilisation.
Par requête du 10 janvier 2018, B. a demandé à adopter C.
Le 24 août 2018, B. a donné naissance à l’enfant D. A. était à son chevet lors de l’accouchement. Sa mère et C. étaient aussi présents à l’hôpital.
L’adoption de C. par B. a été prononcée le 28 mars 2019. Par requête du 3 septembre 2019, A. a demandé à adopter l’enfant D. La mère de D. a consenti à cette adoption le 5 décembre 2019, ce dont le Juge de paix du district de Lausanne a attesté le 21 janvier 2020. Le 1er juillet 2020, alors que la procédure d’adoption de D. allait débuter, A. a signalé au Service de protection de la jeunesse du canton de Vaud qu’elle ne souhaitait pas, compte tenu du Covid-19, que B. emmène son fils en Italie, pour des motifs de santé. Elle a alors fait part de mensonges au sein de leur couple entachant la procédure d’adoption de C. B. est partie en Italie avec D. A son retour de vacances, elle s’est installée provisoirement avec sa fille chez sa nouvelle compagne.
Le 20 juillet 2020, A. et B. se sont rencontrées. A. a enregistré cette conversation, sans opposition de son ex-compagne. B. a proposé que chacune ait la garde de son enfant biologique pendant la semaine et qu’elles se partagent les week-ends et les vacances avec les deux enfants. Son ex-compagne a refusé et demandé qu’elles maintiennent le « deal », à savoir que les enfants soient une semaine sur deux chez chacune. Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre.
Du 21 au 26 juillet 2020, B. a permis à A. de garder D. avec sa mère. Le 6 août 2020, elle a emménagé avec D. dans un nouvel appartement, son ex-compagne demeurant avec C. dans l’ancien logement familial. Le 12 août 2020, la mère de D. a révoqué son consentement à l’adoption de sa fille par son ex-compagne. Le 18 août 2020, le groupe adoption du SPJ a signalé à la Justice de paix la situation de C.
Jusqu’au 29 août 2020, B. a été autorisée par son ancienne compagne à garder occasionnellement C. Elle a introduit une requête le 17 septembre 2020 tendant notamment à ce que la garde de cet enfant lui soit attribuée. Au terme d’une appréciation du signalement du 20 octobre 2020, la DGEJ a requis de la Justice de paix la fixation d’une audience, l’ouverture d’une enquête en limitation de l’autorité parentale et la fixation d’un droit de visite pour les enfants.
Par décision du 30 novembre 2020, confirmée par arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud le 2 juillet 2021, la Direction de l’Etat civil du canton de Vaud a rejeté la requête tendant à l’adoption de D. par A.
Par requête de mesures provisionnelles, A. a demandé qu’un droit de visite au sens de l’art. 274a CC soit fixé en sa faveur sur l’enfant D. Cette requête a été rejetée par le Juge de paix, qui a confié un mandat d’évaluation à la DGEJ, de même que le recours formé par A. contre cette décision devant la Chambre des curatelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud, et que le recours de celle-ci devant le Tribunal fédéral (cause n° 5A_520/2021).
Le 14 octobre 2021, la DGEJ a établi un rapport d’évaluation concernant D., selon lequel chacune des mères s’était montrée collaborante et soucieuse du bien-être de chacun des enfants, avait démontré des relations complices avec son enfant biologique et était investie dans sa prise en charge. B. avait reconnu qu’une garde partagée des enfants avait été envisagée lors de la séparation, mais avait maintenu son opposition formelle à tout contact entre son ex-compagne et D., n’y voyant pas de sens au vu de l’absence d’engagement parental de celle-là lors de la vie commune ainsi que de relation privilégiée avec l’enfant.
La DGEJ mentionnait que B. avait été dans l’impossibilité de se détacher du projet d’adoption de D., qui n’était « pas sain », évoquant un chantage de son ex-compagne quant à l’autorité parentale conjointe sur C. A. avait reconnu que c’était surtout B. qui s’occupait des enfants. La DGEJ avait sollicité F. pour envisager un éventuel accompagnement dans la reprise de relations personnelles entre C. et B. en y incluant D. par la suite, mais cette structure s’y était opposée au motif que le conflit entre les mères devrait préalablement être traité, la priorité étant de protéger les enfants plutôt que d’envisager des rencontres dans des conditions insécures. Elle a préconisé de ne pas fixer de droit aux relations personnelles entre D. et A., d’enjoindre celle-ci et B. à entreprendre une médiation, et de désigner un curateur de représentation en faveur de D. en vue de défendre son droit d’avoir des liens avec C.
Le 18 mai 2022, les ex-concubines ont signé une convention qui prévoyait notamment un droit de visite de B. sur C., s’exerçant de manière médiatisée. Le 17 juin 2022, A. a introduit une demande tendant à la fixation d’un droit de visite sur D., au sens de l’art. 274a CC. Lors d’une audience du 20 juin 2023 devant la Justice de paix, le conseil de B. a confirmé que sa cliente résidait désormais au Tessin. Par décision du 12 octobre 2023, la Justice de paix a refusé de fixer un droit aux relations personnelles en faveur de A. sur l’enfant D. La Chambre des curatelles a rejeté le recours formé par A.
A. a exercé un recours en matière civile contre l’arrêt cantonal et a conclu principalement à la réforme de celui-ci, en ce sens qu’un droit de visite sur D. lui est octroyé, dans un premier temps de façon médiatisée.
Le 26 juin 2025, le Tribunal fédéral a délibéré sur le recours en séance publique.
B. Le droit
1. Les conditions de l’art. 274a CC (consid. 4)
L’art. 274a CC dispose que dans des circonstances exceptionnelles, le droit d’entretenir des relations personnelles avec un enfant peut être accordé à des tiers, en particulier à des membres de la parenté, à condition que ce soit dans l’intérêt de l’enfant (al. 1). Les limites du droit aux relations personnelles des père et mère sont applicables par analogie (al. 2).
1.1 Les tiers visés par l’art. 274a al. 1 CC (consid. 4.1)
Le cercle des tiers concernés par cet article, qui vise notamment les grands-parents de l’enfant, s’étend aussi bien dans la sphère de parenté de l’enfant qu’à l’extérieur de celle-ci. Le beau-parent peut ainsi faire valoir son droit d’entretenir des relations personnelles avec l’enfant de son conjoint dont il est séparé ou divorcé, par le biais de l’art. 274a CC1. De même, en cas de suspension de la vie commune ou de dissolution du partenariat enregistré, un·e
ex-partenaire a la possibilité de demander un droit d’entretenir des relations personnelles avec l’enfant de son ex-partenaire aux conditions de l’art. 274a CC2.
1.2 Les circonstances exceptionnelles (consid. 4.2)
La première condition d’application de l’art. 274a CC est l’existence de circonstances exceptionnelles, par exemple le décès d’un des parents de l’enfant ou lorsque l’enfant a tissé un lien de parenté dite « sociale » avec d’autres personnes, qui ont assumé des tâches de nature parentale à son égard3.
La qualification de la relation entre l’enfant et une personne comme lien de parentalité psychosociale constituera en règle générale une circonstance exceptionnelle, notamment lorsqu’il s’agit de permettre à un enfant de maintenir des contacts avec son beau-parent4.
1.3 L’intérêt de l’enfant (consid. 4.3)
La seconde condition de l’art. 274a al. 1 CC est l’intérêt de l’enfant. A contrario, l’intérêt de la personne qui requiert un droit aux relations personnelles n’est pas déterminant. Il ne suffit pas que les relations personnelles ne portent pas préjudice à l’enfant ; encore faut-il qu’elles servent positivement le bien de celui-ci ou celle-ci.
Le droit d’entretenir des relations personnelles avec l’enfant de son ex-concubin·e ou ex-partenaire enregistré·e pourra notamment être accordé lorsque la partie requérante a noué une relation intense avec l’enfant et que le maintien de cette relation est dans l’intérêt de l’enfant.
Lorsque l’enfant a été conçu·e dans le cadre d’un projet parental commun aux concubin·es ou partenaires enregistré·es et qu’il ou elle a grandi au sein de ce couple, le maintien de relations personnelles avec l’ex-partenaire de son parent légal est en principe dans l’intérêt de l’enfant. Dans une telle configuration, le tiers représente pour l’enfant une véritable figure parentale d’attachement, de sorte que les autres critères d’appréciation, tels que celui de l’existence de relations conflictuelles entre le parent légal et son ex-partenaire, doivent être relégués au second plan et ne suffisent généralement pas à dénier l’intérêt de l’enfant à poursuivre la relation.
La situation sera appréciée avec plus de circonspection lorsque la partie requérante n’a connu l’enfant qu’après sa naissance (en principe le cas des beaux-parents). Dans tous les cas, le maintien d’un lien sera d’autant plus important pour l’enfant que la relation affective avec l’ex-partenaire de son parent était étroite et que la vie commune a duré longtemps5.
2. Les garanties de l’art. 8 CEDH (consid. 4.4)
L’article 8 CEDH tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre d’éventuelles ingérences arbitraires des pouvoirs publics, mais engendre aussi des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale de la part des Etats parties. La jurisprudence de la CourEDH reconnaît aux Etats parties une certaine marge d’appréciation lorsque ceux-ci ont à ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble.
Lorsque le droit aux relations personnelles est en jeu entre une femme et l’enfant de son ex-compagne avec laquelle elle a vécu en famille entre sa naissance et la séparation du couple, il sied d’examiner si un juste équilibre a été ménagé entre le droit au respect de la vie familiale de la requérante, l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits de la mère biologique. Dans la recherche de cet équilibre, l’intérêt supérieur de l’enfant prime6.
3. La preuve de la parenté sociale ou du projet parental (consid. 4.5)
L’appréciation de l’existence d’un lien de parenté sociale ou d’un projet parental commun est en principe effectuée de manière indirecte, sur la base d’un faisceau d’indices, dont aucun n’est à lui seul déterminant. Les indices pertinents servent notamment à établir le contexte de la conception des enfants, de leur naissance et, le cas échéant, les circonstances ayant prévalu durant la période où ils ou elles ont vécu avec la partie requérante. Les constatations peuvent porter sur des circonstances externes tout comme des éléments d’ordre psychique relevant de la volonté interne7.
4. La motivation de la décision sur la requête d’assistance judiciaire (consid. 8.2 et 8.3)
L’autorité cantonale qui ne statue pas séparément du fond sur l’assistance judiciaire, doit évaluer soigneusement – certes rétrospectivement – les chances de succès du recours ou de l’appel, la partie requérante ne devant subir aucun préjudice à raison de la procédure adoptée pour l’examen de sa requête.
La décision sur la requête d’assistance judiciaire – même jointe à la décision finale – doit être motivée conformément aux art. 238 let. g CPC et 112 al. 1 let. b LTF, surtout lorsque l’assistance judiciaire est refusée, et ainsi détailler pourquoi les perspectives de succès du recours paraissaient rétrospectivement notablement inférieures au point qu’une personne raisonnable plaidant à ses propres frais aurait renoncé à faire recours. L’issue du litige en tant que telle n’est pas déterminante dans le cadre de l’examen des chances de succès.
En l’espèce, l’autorité cantonale ne s’est pas pliée à l’exigence de motivation en se contentant de nier les chances de succès « au vu du sort de la cause ».
5. Décision
Le Tribunal fédéral rappelle les faits pris en compte par la Chambre des curatelles et ayant amené celle-ci à exclure l’existence d’un projet parental commun. L’autorité cantonale a ainsi jugé que A. ne pouvait pas être considérée comme étant un parent d’intention vis-à-vis de l’enfant (consid. 5.1).
L’absence de parentalité d’intention n’empêchant pas une éventuelle parentalité sociale, l’autorité cantonale s’est demandé si A. avait eu un tel rôle vis-à-vis de D. pendant la vie commune et avait assumé des tâches parentales au point que l’enfant aurait noué avec elle une relation particulièrement étroite (consid. 5.2). Si elle a jugé douteux, au vu des circonstances, que A. ait joué le rôle de « parent social » au sein de la communauté domestique, l’autorité cantonale a néanmoins laissé la question sans réponse, estimant que l’intérêt supérieur de l’enfant commandait assurément à ce qu’il soit renoncé à l’exercice de relations personnelles avec l’ex-compagne de sa mère, notamment au regard conflit massif entre les ex-compagnes (consid. 5.3).
Le Tribunal fédéral a estimé que la Cour cantonale n’avait pas abusé de son pouvoir d’appréciation dans l’application de l’art. 274a CC, en jugeant qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de prévoir un droit aux relations personnelles en faveur de la recourante (consid. 7.3.2).
C. Commentaire
Cet arrêt, rendu à cinq juges après des délibérations publiques, a été discuté dans les médias avant même sa parution. Le résultat, à savoir le refus d’accorder un droit aux relations personnelles à l’ex-compagne de la mère de l’enfant, questionne à divers égards. Premièrement, les notions de parent d’intention et de parent social sont distinguées à juste titre par le Tribunal fédéral, mais au vu du caractère essentiel de celles-ci dans le contexte actuel des (plus ou moins) nouvelles constellations relatives à la parentalité, ces notions mériteraient des définitions claires (1.1) et des définitions moins strictes, la reconnaissance d’un projet parental réalisé en dehors d’une certaine hétéronormativité ou simplement par le biais d’une méthode de procréation médicalement assistée à l’étranger étant interprétée de façon très restrictive (1.2).
Dans ce contexte, se pose secondement la question de la détermination de l’intérêt de l’enfant qui, dans le cas d’espèce, a amené le tribunal à exclure un quelconque droit de visite de l’ex-compagne de la mère de l’enfant (2).
1. Parent social, projet parental et parent d’intention
1.1 Définitions
Cet arrêt distingue à juste titre les notions de « parent social » et de « parent d’intention8 », néanmoins sans concrètement les définir. Le Tribunal fédéral cite le raisonnement de la Cour cantonale qui rejette la qualification de parent d’intention s’agissant de l’ex-compagne, car le projet d’enfant résulterait de la seule volonté de la mère. Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral avait précisé que le rôle de parent d’intention non biologique de l’enfant faisait référence à la situation dans laquelle « l’enfant a été conçu dans le cadre d’un projet parental commun et qu’il a grandi au sein du couple formé par ses deux parents d’intention »9. La notion de parent d’intention est ainsi définie par l’existence d’un projet parental10.
L’absence de projet parental n’exclut en revanche pas la reconnaissance du rôle de parent social de l’enfant. Le parent social agit comme un parent, mais n’en a pas le statut légal11 et ne connaît généralement l’enfant qu’après sa naissance. Le Tribunal fédéral précise que c’est en principe le cas du beau-parent (consid. 4.3 et 5.2). Le parent d’intention devient quant à lui généralement le parent juridique ou à défaut, le parent social de l’enfant12, mais pas systématiquement (p. ex. : séparation avant la naissance et absence de contact avec l’enfant).
Le Tribunal fédéral ne distingue pas clairement les notions de parenté et de parentalité. Selon le Groupe d’expert·es invité à se prononcer sur la question d’une future révision du droit de la filiation, la parenté vise un statut, alors que la parentalité désigne « un ensemble de droits, devoirs et responsabilités par rapport à l’enfant, qui, selon les cas, peuvent également (totalement ou partiellement) appartenir à une personne avec laquelle l’enfant n’a pas de lien de filiation juridique »13. Plus généralement, cette distinction est également soulignée par les sciences sociales, selon lesquelles la parentalité correspond à l’exercice de fonction parentale par opposition à la parenté qui renvoie aux liens de filiation et d’alliance14.
A noter que l’art. 255a CC, qui prévoit à certaines conditions la création d’un lien juridique de parenté entre un·e enfant et l’épouse de sa mère, parle de « parentalité » de l’épouse, alors que cet article est censé faire référence au lien de filiation juridique, donc à la parenté. Cette dénomination est ainsi incohérente15.
1.2 Admission restrictive de la parentalité d’intention et sociale
La Cour cantonale, suivie par le Tribunal fédéral, admet très restrictivement l’existence d’un projet parental et, partant, la parentalité d’intention. Premièrement, la qualification de projet parental commun est ignorée et ce, malgré l’existence d’un faisceau d’indices, notamment : consentement de la recourante de recourir aux paillettes résultant du lot commun acheté en 2014 ; existence d’un premier enfant commun adopté par l’ex-compagne de la recourante ; présence de la recourante lors de l’accouchement ; ménage commun des ex-compagnes lors de la conception de l’enfant ; ouverture d’un compte bancaire au nom de l’enfant par la mère de la recourante ; le fait que les ex-compagnes avaient élevé ensemble leur premier enfant, etc.
Le degré de preuve semble ainsi très élevé. Lorsque les éléments factuels pris en considération n’emportent pas la conviction du tribunal, l’intention du parent légal et celle du parent d’intention supposé sont alors complexes à démontrer, au détriment de celui qui n’a pas de parenté juridique avec l’enfant. Cette difficulté de reconnaissance de la parentalité d’intention pose notamment la question d’une éventuelle reconnaissance de maternité (parenté) ou une contractualisation du projet parental entre les parents d’intention. En France, la reconnaissance conjointe de l’enfant devant notaire par les deux mères de l’enfant est désormais admise par le Code civil16.
Deuxièmement, cet arrêt paraît faire dépendre le projet parental de l’existence d’un couple, pas juridiquement reconnu mais « sentimental ». Autrement dit, un binôme parental seul ne permettrait-il pas d’admettre un projet parental en l’absence d’un « réel couple » ?17 Qu’en serait-il alors d’autres constellations parentales en cas de désaccord ultérieur, par exemple des amies qui décideraient d’un projet parental commun ? A noter que, dans le cas de parents hétérosexuels, le projet parental n’est pas à démontrer afin d’établir la filiation (cf. reconnaissance, présomption de paternité du mari), ni même lorsque le second parent demande un droit de visite sur son enfant.
Enfin, l’art. 255a CC prévoit, à des conditions strictes, la présomption de parentalité de l’épouse, dans le cadre d’un projet parental de deux femmes mariées ensemble. En dehors de cette hypothèse, seul le recours à l’adoption permet l’établissement d’un lien de filiation avec la seconde mère. C’est également la seule possibilité dans le cas d’un couple d’hommes qui aurait eu recours à une gestation pour autrui. L’adoption de l’enfant par le/la partenaire de vie ou enregistré·e suppose que le couple fasse ménage commun depuis au moins trois ans (art. 264c al. 2 CC) et l’existence d’un lien nourricier entre le parent d’intention et l’enfant pendant au moins un an (art. 264 al. 1 CC)18. Ceci rend extrêmement fragile la situation du parent d’intention, qui dépend notamment du consentement du parent juridique (art. 265a CC). Le Conseil fédéral admet dans son Message concernant l’adoption facilitée de l’enfant du conjoint ou du partenaire que pendant la durée des démarches jusqu’au prononcé de l’adoption, « l’enfant n’est pas pleinement protégé[·e] sur le plan juridique puisqu’il ou elle n’a généralement qu’un seul parent juridique »19. Dans ce contexte, l’art. 274a CC qui permet de faire bénéficier en premier lieu le parent psychosocial de l’enfant d’un droit de visite20, offre un moyen au co-parent en cas de séparation avant l’adoption de l’enfant, de réglementer juridiquement ses contacts avec l’enfant de son ex-partenaire.
La séparation du couple signe la fin de la procédure d’adoption. Par ailleurs, lorsqu’elle est conflictuelle, ou par exemple si le parent juridique décide de couper les ponts, la séparation prive potentiellement le parent de tout contact avec l’enfant.
2. Intérêt de l’enfant
Le critère de l’intérêt de l’enfant, prévu à l’art. 274a al. 1 CC, est plus généralement le principe directeur de toutes les décisions intéressant l’enfant. Sur le plan international, l’art. 3 §1 CDE prévoit que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
La cour cantonale a refusé d’accorder un droit de visite à la recourante, car d’après les faits pris en compte dans sa décision, la condition de l’intérêt de l’enfant faisait défaut. La question de la qualification de la relation entre la recourante et l’enfant en tant que parentalité sociale n’ayant pas été tranchée, c’est uniquement la condition de l’intérêt de l’enfant qui a été finalement décisive.
2.1 Le droit de visite du parent non-gardien (art. 273 CC) à titre de comparaison
Pour rappel, le cadre légal actuel fonde l’établissement du lien de filiation avec le second parent sur la présomption liée au statut marital (art. 255 et 255a CC) ou sur la vérité biologique, avec l’action en paternité (art. 261 CC) et la reconnaissance (art. 260 CC)21. Lorsque le lien de filiation juridique est établi, l’attribution des droits parentaux (autorité parentale, garde, etc.) ne dépend ni d’un éventuel projet parental, ni de l’éventuelle vie commune des parents, ni même du fait que le second parent ait pris en charge l’enfant dans une certaine mesure. Seul l’intérêt de l’enfant est déterminant.
S’agissant du droit de visite du parent non-gardien (art. 273 CC), le Tribunal fédéral admet que les relations de l’enfant avec ses deux parents sont importantes, car elles peuvent jouer un rôle décisif dans la construction de son identité22. Dans un arrêt de 2005 déjà, Tribunal fédéral citait certains pédopsychologues qui « ne manquent pas d’affirmer dans leurs ouvrages que les aspects positifs (…) des visites régulières auprès de l’autre parent l’emportent sur les aspects négatifs (…) » et soulignait que « les recherches entreprises en pédopsychologie montrent d’ailleurs que, dans l’hypothèse de conflits entre les deux parents, les visites peuvent détendre l’atmosphère lorsqu’elles sont conçues d’une manière judicieuse et qu’elles sont répétées, car chaque nouvelle visite contribue à réduire les effets de la situation »23.
Lorsqu’il est question des parents juridiques, indépendamment du statut marital ou même de la relation entre les parents, la tendance est ainsi d’admettre que l’intérêt de l’enfant plaide en principe pour le maintien d’un contact entre chacun des parents et l’enfant. Les récentes initiatives parlementaires visant à favoriser la garde alternée et reconnaître l’autorité parentale conjointe pour les parents non mariés illustrent d’ailleurs cette valorisation des deux positions parentales24.
2.2 Une notion relative ?
A teneur de l’arrêt 5A_576/2025, le Tribunal fédéral a néanmoins estimé « qu’au vu de l’ensemble des circonstances, soit notamment de l’absence de projet parental commun des parties, de l’inexistence d’un lien affectif étroit entre D. et la recourante et du conflit massif opposant les parties, il n’était pas dans l’intérêt de D. de prévoir un droit aux relations personnelles en faveur de la recourante ». Si l’arrêt avait porté sur l’application de l’art. 273 CC, il n’est pas certain que l’absence de projet parental et de lien affectif étroit aurait empêché l’établissement d’un droit de visite. Seul le conflit massif aurait ainsi été susceptible d’être jugé préjudiciable au bien de l’enfant25.
Dans le cadre de l’application de l’art. 274a CC, la jurisprudence du Tribunal fédéral estime que lorsqu’en raison du conflit, un droit de visite exposerait l’enfant à un conflit de loyauté, celui-ci est contraire à l’intérêt de l’enfant26. Néanmoins, dans cet arrêt et comme mentionné précédemment, le Tribunal fédéral rappelle premièrement que le droit aux relations personnelles du parent d’intention avec l’enfant né·e de son projet parental avec le parent juridique et ayant grandi au sein de leur couple et en principe dans l’intérêt de l’enfant et secondement que l’existence de relations conflictuelles entre les parents ne suffisent généralement pas à dénier l’intérêt de l’enfant dans ce contexte (consid. 4.3). Malgré ces principes, le Tribunal fédéral n’a pas remis en cause la décision cantonale.
En l’espèce, le conflit n’a néanmoins pas empêché l’ex-compagne de la recourante de bénéficier d’un droit de visite sur leur enfant commun C. La convention prévoyant ce droit de visite a d’ailleurs été ratifiée par un tribunal. De façon peu compréhensible, un conflit est ainsi apprécié différemment au regard du bien de l’enfant selon le statut juridique de ses parents27.
L’existence d’une fratrie in casu met davantage en évidence le caractère peu cohérent de la décision. L’un des enfants bénéficie de contacts avec chacune de mères, sans que la situation n’ait été jugée contraire à son intérêt, alors que la seconde se voit refuser tout contact avec l’ex-compagne de sa mère, au nom de l’intérêt de l’enfant.
III. Synthèse
En résumé, le tribunal attribuera un droit de visite, selon l’art. 274a CC :
- au parent d’intention, lorsque l’enfant a été conçu·e dans le cadre d’un projet parental commun aux concubin·es ou partenaires enregistré·es et qu’il a grandi au sein de ce couple ; ou
- au parent social, à des conditions plus strictes, notamment si la relation affective avec l’ex-partenaire, ex-conjoint·e ou ex-concubin·e du parent de l’enfant était étroite et que la vie commune a duré longtemps ; et si
- cette attribution sert l’intérêt de l’enfant.
Avec pour conséquences :
- la difficile reconnaissance d’un projet parental qui serait souhaité par un couple (uniquement) parental et non un couple de partenaires ;
- la situation extrêmement fragile du parent d’intention et du parent social jusqu’au prononcé de l’adoption de l’enfant ;
- une interprétation de l’intérêt de l’enfant qui varie selon le statut de ses parents.
Notes
- Cf. également : TF 5A_831/2008 du 16 février 2009, consid. 3.2 in fine. ↩
- Art. 27 al. 2 LPart ; ATF 147 III 209, consid. 5 et les références citées. ↩
- ATF 147 III 209, consid. 5.1 et les références citées. ↩
- TF 5A_74/2024 du 16 janvier 2025, consid. 8.2.2 et les références citées. ↩
- ATF 147 III 209, consid. 5.2 et les références citées. ↩
- CourEDH du 7 avril 2022, Callamand c. France, requête n° 2338/20, § 34 - 36. ↩
- TF 5A_76/2024 du 1er mai 2024, consid. 3.3 ; TF 5A_225/2022 du 21 juin 2023, consid. 5.3. ↩
- S’agissant des usages de la notion de parent d’intention hors gestation pour autrui en droit français : Mesnil in : La parenté d’intention en droit français, Nouvelle figure du système de filiation ?, Revue des politiques sociales et familiales, 2021, p. 105 ss. ↩
- ATF 147 III 209, c. 5.2. ↩
- Jungo/Kilde, BGer 5A_755/2020 : Persönlicher Verkehr bei sozialer Elternschaft, in : AJP/PJA 8/2021, p. 1025, résument ainsi : le projet parental est un projet (commun) de deux adultes visant à devenir parents d’un enfant. ↩
- Lombard, La filiation pour les couples de même sexe sous l’angle du bien de l’enfant, in : FamPra.ch 2017, p. 728. ↩
- Jungo/Kilde (n. 10), p. 1025. ↩
- Jungo/Aebi-Müller et al., De la nécessité de réviser le droit de l’établissement de la filiation, Recommandations du groupe d’expert·es du 21 juin 2021, n. 1, p. 4. ↩
- Notamment : Mesnil (n. 8), p. 100 s., et les références citées ; Cadoret, Des parents comme les autres, Homosexualité et parenté, N 15, p. 39. ↩
- Du même avis : Cottier, Le don de sperme et l’établissement de la filiation au sein des couples de femmes mariées, in : Clerc/Dunand/Sprumont (édit.), Alea jacta est : Santé ! Mélanges en l’honneur d’Olivier Guillod, Bâle 2021, p. 383 ; Meier, La multiparenté en assemblée générale, in : Clerc/Dunand/Sprumont (édit.) : Alea jacta est : Santé ! Mélanges en l’honneur d’Olivier, Bâle 2021, N 18 p. 147. ↩
- Art. 310-1, 342-9, 342-10, 342-11 Code civil français. « La filiation est établie, à l’égard de la femme qui accouche, conformément à l’article 311-25. Elle est établie, à l’égard de l’autre femme, par la reconnaissance conjointe prévue au premier alinéa du présent article. Celle-ci est remise par l’une des deux femmes ou, le cas échéant, par la personne chargée de déclarer la naissance à l’officier de l’état civil, qui l’indique dans l’acte de naissance » (art. 342-11 §2 CC). ↩
- L’instance cantonale mentionne qu’« ainsi, si les parties vivaient dans le même logement et si les tiers étaient convaincus que les quatre protagonistes étaient une famille « ordinaire », c’était parce qu’il fallait donner une telle apparence pour voir aboutir les projets d’adoption », avant de refuser la qualification de projet parental commun (consid. 5.1). ↩
- A l’avenir, l’adoption d’un·e enfant vivant dès sa naissance avec un parent juridique et son parent d’intention sera facilitée, étant donné que l’exigence de l’existence d’un lien nourricier entre l’enfant et le parent d’intention pendant une année est supprimée dans cette hypothèse (art. 264cbis P-CC). ↩
- Conseil fédéral, Message concernant une modification du code civil (Adoption facilitée de l’enfant du conjoint ou du partenaire), p. 8. ↩
- CR CC I-Cottier, art. 274a, N 2, in Pichonnaz, Foëx, Fountoulakis (édit.), Commentaire romand 2e éd., 2023. ↩
- La reconnaissance n’est pas conditionnée à la preuve de la paternité biologique mais si celle-ci fait défaut, elle sera susceptible d’être attaquée en justice (art. 260a CC). ↩
- TF 5A_972/2023 du 23 mai 2024, consid. 3.1.3 ; ATF 131 III 209, consid. 4, Jdt 2005 I 201, p. 204. ↩
- ATF 131 III 209, consid. 5, Jdt 2005 I 201, p. 205. ↩
- Kamerzin, « Favoriser la garde alternée en cas d’autorité parentale conjointe », initiative parlementaire (21.449) ; Nantermod, « Pour l’autorité parentale conjointe dès la naissance de l’enfant de parents non mariés », initiative parlementaire (24.419). ↩
- Cf. art. 274 al. 2 CC : « Si les relations personnelles compromettent le développement de l’enfant, si les père et mère qui les entretiennent violent leurs obligations, s’ils ne se sont pas souciés sérieusement de l’enfant ou s’il existe d’autres justes motifs, le droit d’entretenir ces relations peut leur être refusé ou retiré ». ↩
- TF 5A_380/2018 du 16 août 2018, consid. 3.2 ; TF 5A_355/2009 du 3 juillet 2009, consid. 2.2. ↩
- Cette différence de traitement pose la question du caractère discriminatoire et ainsi contraire à l’art. 8 Cst. de la décision. ↩